C’est un serpent de mer que j’avais abordé il y a quelques années, mais comme le monstre du Loch Ness, quand on croit être débarrassé du folklore, la science revient au galop pour faire une petite piqûre de rappel !
Il y a fort longtemps dans une contrée fort sauvage et fort éloignée de France (Les Landes il y a 11 ans, quoi !), j’avais abordé avec mes comparses de l’époque, Antoine, Clément et Sébastien, le sujet du Group Delay, un peu abusivement qualifié de “temps de traitement du signal par une aide auditive”.
A cette époque préhistorique (11 ans et plus), les tous derniers appareils analogiques quittaient les catalogues, les appareils “numériques” nous promettaient un bonheur écœurant et nos chaînes de mesure commençaient à… mesurer pas mal ! Bref, il nous avait paru intéressant alors de chatouiller ces petits bijoux de technologie à 13ms de délai avec leurs ancêtres analogiques à 0,5ms 😉 .
Donc, je divague, je tergiverse, j’éllipse et je contourne, mais à l’époque, nous nous étions DEJA intéressés au temps de traitement du signal par les aides auditives, car OUI, nous étions DEJA intelligents, vénaux, imbus de nos personnes, curieux !
Et donc, comme Nessy revient dans l’actualité sous un mauvais montage photoshop, le temps de traitement du signal des aides auditives reprend du service avec le Widex Moment et sa promesse de numérique à +/-0,5ms en mode “PureSound”, c’est à dire “Zero Delay”.
Je reviendrai sur l’utilité ou non d’un tel délai, bien que je sois infoutu d’apporter d’autres preuves que des faisceaux de présomptions sur le sujet.
Mais d’abord, ça le fait vraiment ?
Des faits :

Oui ! Il le fait vraiment !
On pourra tergiverser sur la précision au dixième de millième de secondes d’une chaîne de mesure, mais la doc du fabricant ne ment pas.
Et le Phonak, il n’est pas bon ?
Je pense que la quantité de Phonak Marvel adaptés ces dernières années, avec toute satisfaction pour la plupart, répondent à la question : il est très bien, il est très bien !
Mais vous savez peut-être comme moi que l’on ne renouvelle pas si facilement un patient satisfait d’un Widex avec un Phonak, et vice versa. Et ça, c’est juste de l’expérience, aucune base scientifique ne sera avancée !
Et alors donc ? Utile ou gadget un traitement du signal “Zero Delay” ?
D’un point de vue scientifique, ça peut se discuter (en tous cas, la discussion n’est pas close). Onze ans après, si on balaye articles “maison”, données psychoacoustiques et ressenti (purement subjectif donc) :
- un premier article de Kuk (lien d’intérêt avec Widex) mesure les performances dans le bruit de ce système qui ne semble pas être moins bon qu’un système “conventionnel” (= avec délai). Des biais (à mon sens) sont présents dans cette étude et je ne m’appuierais pas sur ces résultats pour argumenter un choix prothétique.
- un second article du même auteur détaille l’effet du délai d’une aide auditive sur l’encodage neuronal de l’enveloppe du signal. C’est très intéressant, car l’amplitude de l’onde mesurée en réponse au phonème est plus importante en “ZeroDelay”. Mais aucun lien n’est fait entre ces mesures objectives et de supposés résultats subjectifs (une meilleure répétition ou une meilleure identification des phonèmes avec Zero Delay ?).
- D’un point de vue technique, ce que j’en connaissais des bases scientifiques du Group Delay : je ne pense pas que l’explication de Kates en 2005 ait été dépassée en ce qui concerne notre profession.
- Il était d’ailleurs abondamment cité dans cette Note Audioscan qui faisait une revue de littérature à l’époque sur le sujet et ne constatait pas de gêne des patients avant 10/15ms de délai, voire plus avec l’augmentation de la surdité.
- Plus récemment, un article hommage à BCJ Moore de Neil Hockley dans le Canadian Audiologist revenait sur des décennies de recherches en la matière du célèbre psychoacousticien britannique. Et il décrivait un délai acceptable se situant autour de 10ms. Donc loin de zéro…
Toutes ces explications scientifiques, aussi argumentées soient elles, me laissent plus d’interrogations que de réponses. Je pense que certains d’entre vous qui ont encore une bonne audition et qui ont testé le système ont constaté une sensation auditive nette : un délai quasi nul est beaucoup plus naturel en ce qui concerne la perception de sa propre voix et l’absence d’écho des bruits environnants.
Pourquoi alors certaines personnes y sont si sensibles alors que d’autres n’en ressentent absolument pas les effets ? Moore évoque un effet de la perte auditive, rendant les porteurs d’aides auditives moins sensibles au délai au fur et à mesure que la perte auditive croît.
L’âge et donc peut-être un traitement neuronal plus rapide pourraient-ils également expliquer une sensibilité plus importante au délai ? Ca reste à explorer. Il n’y a pas de groupes d’âges dans le second article de Kuk et al.
A l’heure où l’appareillage précoce de patients de plus en plus jeunes est vivement recommandé, le cocktail des deux points précédents pourrait donc trouver une justification au confort, et peut-être également à la préservation des indices vocaux, avec cette technologie rapide.
Mais comme le dit Kates dans son article de 2005, “nothing comes for free in signal processing”, ce que l’on pourrait traduire par “pas de délai, pas de traitement du signal” !
Je re-traduis : “Pas de bras, pas de chocolat !”. Pour le Moment… *
*jeu de mots aussi vaseux que le fond du Loch Ness !
2 commentaires sur “La différence entre un court délai et petit Moment”