On passe l’HASPI ! (partie 2)

L’HASPI (Hearing Aid Speech Perception Index) est un indice particulièrement dédié à la prédiction (prévision) d’intelligibilité des porteurs d’aides auditives dans des situations de bruit.

Cet indice fait partie de la catégorie des tests objectifs « intrusifs ». Les divers indices de prédiction d’intelligibilité se décomposent en effet entre deux catégories :

  • les tests objectifs non-intrusifs : le signal à analyser (après amplification par exemple) ne nécessite pas de référence « propre » (voix sans bruit par exemple) à rechercher dans le signal bruité. On pourrait donc procéder à une analyse à la volée, c’est à dire en temps réel
  • les tests objectifs intrusifs : le signal à analyser nécessite de posséder une référence « propre », c’est à dire que le signal à rechercher dans le bruit est comparé à sa référence non-bruitée. Ces tests permettent donc de quantifier la dégradation du signal par l’amplification ou d’autres conditions acoustiques.

L’HASPI est donc l’indice d’un test intrusif. Il est à la fois un mélange de calcul d’émergence de type SII, mais là où grande est sa force (je cite maître Yoda…) c’est dans l’analyse de la dégradation du signal par l’aide auditive :

  • Analyse des dégradation de la structure fine permettant de quantifier des dégradations harmoniques, donc tournée vers l’analyse de la dégradation des voyelles,
  • analyse des dégradations de l’enveloppe temporelle du signal, donc adaptée à l’exploration de la dégradations des consonnes (Falk & al., 2015 – pdf disponible).

L’HASPI est un indice parmi beaucoup, beaucoup d’autres, qu’ils soient intrusifs ou non-intrusifs. Car si nous n’avons pas conscience du besoin de prouver l’efficacité de ce que nous faisons, soyons sûrs que de très nombreux labos de recherche s’intéressent à prouver (ou non) l’efficacité de tel ou tel traitement du signal et de tel ou tel modèle d’aide auditive !

On citera parmi les indices les plus utilisés : le SII (non-intrusif), le plus connu des audios, le STOI (Short-Time Objective Intelligibily measure), sorte de SII à court terme, le SIIB (Speech Intelligibilité in Bits), et j’en oublie parmi le sEPSM, le QSTI, le HEGP, le CSII-MID, le ESTOI, le SIMI, etc. EnOOOORme !!

Mais pourquoi particulièrement l’HASPI ?

Très simplement (si on peut dire) car cet indice utilise un des meilleurs modèles auditifs disponibles (Kates, 2013 – pdf disponible). Cette simulation du système auditif permet la prédiction d’intelligibilité à 90% chez le normo-entendant (Van Kuyk& al., 2018 – pdf disponible), mais également à 80/90% chez le malentendant (Falk, cité plus haut).

Des preuves !

Après avoir vu la théorie en partie 1, il semblait logique de passer à la pratique dans cette partie 2.

Je reprends donc toujours les deux mêmes protagonistes avec Bernafon et Widex que je traîne au long court depuis ce post. Mais on va réactualiser les tests avec de nouvelles données :

  • Chez Widex, l’appareil qui sera testé est le dernier né de la marque : le Moment 440,
  • chez Bernafon : le Viron 9,
  • des conditions de tests réalistes : le signal « cible » est le NFIMfrench (voix française de l’ISTS) et le bruit un « babble » constitué de 4 ISTS mélangés et de même densité spectrale de puissance que le signal,
  • comparaison de l’HASPI avec algorithmes activés (reconnaissance de la parole, directivité, réduction du bruit), et sans ces algorithmes. Lorsque les algorithmes sont activés, ils le sont de manière « moyenne », c’est à dire sans forcer tel ou tel algorithme (« as is »),
  • comparaison des effets du changement de modèle (dans une même classe) et de classe d’appareil (Classe I vs Classe II) et conséquences sur l’HASPI.

Avec ça, on devrait faire un petit tour des choses.

Les tests de performances brutes

J’entends par là les mesure du RSB par la méthode de Hagerman & Olofsson de séparation du signal et du bruit.

Je m’excuse, je l’ai mis en english… je ne le referai plus !

Bref, vous connaissez peut-être maintenant ce genre de graphique, mais si vous avez bien lu ce qui était écrit avant, ces performances pourraient être atteintes au prix d’une dégradation de l’enveloppe temporelle par les compressions, ou de la structure fine par d’autres facteurs, réduisant du même coup les chances d’intelligibilité du malentendant porteur des ces aides auditives. Donc au-delà de ces résultats quantitatifs, il semble intéressant de relier cet estimateur quantitatif ET un estimateur qualitatif (mais néanmoins quantitatif) comme l’HASPI.

Pour rappel, les réglages et indices pour le malentendant sont la basés sur l’audiogramme suivant :

Lorsque l’on calcule l’indice HASPI pour le WIDEX Moment 440, on obtient :

Un point étonnant d’abord : la courbe verte claire montre la prédiction d’intelligibilité du malentendant avec seulement l’amplification de l’appareil, et sans aucun algorithme. On note que la seule amplification, même « sur cible », n’apporte AUCUNE intelligibilité dans le bruit par rapport à la condition « malentendant sans appareil » !

Qui n’a jamais entendu certains patients nous dire « Dans le bruit, je les enlève, j’entends mieux sans !! ». Demandons-nous alors quelle est la performance des algorithmes actifs, mais aussi quelle est la perte de performance induite par l’ouverture du couplage auriculaire..? Mais ça, c’est une autre histoire qui sera détaillée prochainement.

Ce modèle, réglé sans aller dans les maxima des ses algorithmes permet en théorie et dans ces conditions de bruit et de couplage (fermé) une intelligibilité proche de celle du norme-entendant (courbe verte foncée vs courbe en pointillés).

Effet de gamme

Dans le cas de Bernafon, j’ai comparé deux appareils de Classe II, le Viron 9 et le Viron 7 réglés exactement sur le même audiogramme et en « mode auto », c’est à dire comme le préconise le réglage « expérimenté » du fabricant :

Effet de la Classe d’appareil

L’effet de gamme est déjà visible. Il est encore plus marqué lorsque l’on recherche l’effet de Classe.

ATTENTION : les mesures suivantes ont été obtenues avec l’ISTS pour signal cible et IFnoise (bruit vocal corrélé en fréquence) pour le bruit. Cela a pour effet de maximiser l’effet des réducteurs de bruit des appareils testés, car le bruit n’est pas constitués de voix mélangées mais d’un bruit blanc filtré sur le LTASS. Le Widex testé ici est l’Evoque 440 et pas le Moment 440 dont les performances pourraient être légèrement supérieures.

Les Classes I de ces fabricants sont également comparées avec le Zerena 3 (Bernafon) et le Dream 330 (Widex).

L’effet de Classe (Classe I/Classe II) est de l’ordre de 20% à 40% d’intelligibilité dans une condition très artificielle de bruit stationnaire (condition excessivement facile pour les algorithmes). Il est plus important encore dans des conditions de bruit plus fluctuant de type cocktail-party.

Un appareillage auditif de Classe II apporte clairement une espérance d’intelligibilité supérieure dans des situations de groupes par rapport à l’appareillage de Classe I, et dans les conditions testées ici (bruit stationnaire ou babble).

Que penser de tout cela ?

Vaste sujet… réellement !

Au sujet des tests d’appareils a destination du grand public

Encore une fois, je reste, malgré tous les outils à notre disposition, plus que réservé sur les tests d’un journal de consommateurs :

  • Comment reproduire les conditions des tests (base de la recherche reproductible) ? Impossible…
  • Le spectre du bruit est-il corrélé en fréquence à celui du signal ? Quel est à la base le RSB entre le bruit et le signal, et par bandes de 1/3 d’octaves ? Non publié…
  • Lors du calcul de l’HASPI, quel était l’audiogramme ? Non publié…
  • Cet audiogramme correspond t-il à tout le monde ? Bien sûr que non…
  • Et donc peut-on extrapoler HASPI et HASQI à tous les lecteurs du grand public ? Bien sûr que non…
  • Fallait-il donc, en toute rigueur scientifique, publier à destination du grand public ? Par honnêteté intellectuelle, je ne pense pas…

Au sujet de l’indice HASPI

  • La prédiction de cet indice est à mes yeux tout aussi valable que la mesure du RSB à la sortie des aides auditives, d’autant plus que leurs comportements sont de plus en plus non-linéaires (différents d’une mesure à l’autre),
  • Une aide auditive peut avoir un bon RSB en sortie, sans avoir forcément un indice HASPI corrélé à cette performance, si cette amélioration du RSB est obtenue au prix d’une dégradation de l’enveloppe et de la structure fine du signal,
  • La robustesse du modèle auditif de l’HASPI permet d’expliquer plus de 80% de l’intelligibilité, y compris chez le malentendant, et même en conditions de parole dans le bruit,
  • Cet indice permet de tester les aides auditives dans des conditions moins artificielles que la mesure du RSB : c’est à dire anti-larsen activé, en condition de couplage ouvert, etc.,
  • Il est obtenu de manière rapide, avec des pas de RSB pouvant être très fins,
  • Il permet de quantifier les effets de bord des algorithmes des aides auditives et la dégradation qu’ils peuvent occasionner au signal, comme par exemple la compression (sa vitesse et son taux, son type également), mais aussi les systèmes anti-larsen qui peuvent intervertir la phase du signal amplifié par rapport à celle entrant directement dans le conduit,
  • L’HASPI est à ce jour l’indice considéré comme le plus précis (un des plus précis pour être exact) dans la prédiction de performance subjective avec aides auditives.

Au sujet des gammes et des classes d’aides auditives

Comment ne pas être accusé, en tant qu’audioprothésiste, de militer pour l’appareillage de Classe II ? Dire qu’une aide auditive de Classe II est plus performante dans des conditions d’écoute difficiles est une chose, le prouver est plus compliqué. Les tests d’intelligibilité dans le bruit seront capables, au mieux, de mettre en évidence un delta de résultat de l’ordre de 1,5/2dB d’amélioration du RSB, très exposé aux variations de fatigue du patient testé. Avec des tests objectifs (HASPI, HASQI, Hagerman & Olofsson, etc.), on retiendrait :

  • Dans une même gamme, un changement de modèle peut apporter une meilleure espérance d’intelligibilité, comme c’est le cas ici entre le Viron 7 et le Viron 9,
  • Lorsque qu’un fabricant fait évoluer sa gamme (ici entre le Widex Evoke 440 et le Moment 440), il semble y avoir également une amélioration des performances, à réglages identiques en bande passante,
  • Les Classes I (tout du moins pour ces fabricants), ont des performances en retrait par rapport aux Classes II, et ne s’adressent donc pas aux mêmes patients : je ne parle pas ici de budget, bien que je soit conscient de ce point, mais de vie quotidienne, professionnelle, sociale, etc.

On ne peut pas et on ne doit pas jouer avec le sensationnalisme, dans un sens comme dans l’autre. Les gammes et classes d’aides auditives ont un impact sur la prédiction d’intelligibilité et doivent faire l’objet d’une concertation bien argumentée entre l’audioprothésiste et son patient. Les aides auditives de Classe I regroupent quelques bons appareils auditifs, permettant l’accès au plus grand nombre à un équipement correct, mais seront forcément limités dans certaines situations sociales.

HASQI alors ?

Pour fêter en toute sécurité le déconfinement et pour se dégourdir, tous HASQI ?

L’HASQI est une indice de Qualité (le Q de l’HASQI) du message vocal après amplification par les aides auditives. Gros bras, OK –> mais on les veut sensibles aussi ! Mais suspens, coming soon !

Et soyons foooooouuuus : on parlera même un jour de l’HAAQI (une spéciale musiciens) !!

Je suis conscient que certains graphiques ou propos de cet article peuvent amener beaucoup d’interrogations. N’hésitez pas, si je peux y répondre !

Bonne reprise à tou(te)s

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