Spatialiser un test dans le bruit influence t-il la variabilité des réponses ?

Suite à quelques débats, mises au point et interrogations sur l’intérêt d’administrer un tests d’audiométrie vocale dans le bruit en conditions « voix et bruit en face » ou « voix devant et bruit ailleurs », je voulais tenter d’apporter quelques réponses scientifiques, ou du moins un peu argumentées sur le sujet.

En premier lieu, et pour couper court à toute traitresse méprise, ce billet est exempt de COVID-19 ne concerne que le cas de sujets normo-entendants, testés donc oreilles nues.

La variabilité des sujets malentendants, c’est encore un autre… sujet, et bien des facteurs peuvent alors intervenir pour rajouter tous les biais possibles.

Bref, Xavier reprends-toi, la question qui vous taraude, je le sais bien, celle qui vous fait ouvrir l’oeil à 3h du matin, moites et anxieux est bien la suivante :

Si on fait passer un même test dans le bruit, par exemple le FrMatrix, à un même groupe de sujets, voix et bruit en face (0°) et voix devant et bruit autour (bruit spatialisé), est-ce que la variabilité des réponses sera plus importante dans le second cas ? Autrement dit, est-ce que l’écart type des données sera plus important quand on fait potentiellement intervenir l’audition binaurale ?

Ah… je vous reconnais bien là, grands fous que vous êtes ! Toujours ces questions métaphysiques qui vous minent !

Pour ce faire et afin d’éviter la prise de mélatonine qui nuit à vos nuits (c’est beau…), j’ai repris :

Vous trouverez ces données dans le tableur Excel accessible en téléchargement ici.

Il existe, pour les utilisateurs du logiciel statistique R, un package permettant de tracer des courbes psychométriques et d’en extraire diverses données (seuil à 50%, écart type du SRT, etc.) : le package quickpsy. A explorer, très intéressant. C’est avec ce package que les analyses suivantes ont été réalisées.

Le but :

  • tracer les points
  • y faire passer une courbe psychométrique
  • repérer le RSB au SRT50 (à 50% d’intelligibilité)
  • Calculer l’écart type de ce « RSB50 » afin de savoir si le fait de passer un test « spatial » induit plus de variabilité de réponses qu’une condition « en face ». CQFD.

Trêve de suspens. Pour les groupes de sujets normo-entendants (et jeunes) de ce jeu de données (réelles), on obtient :

  • Les RSB50 sont certes différents, ce qui est « psycho-acoustiquement » normal ou explicable : -6dB en condition 0°, contre -11,8dB de RSB en condition « spatialisée ».
  • Les pentes des courbes sont différentes : moins de pente en condition spatialisée
  • Et enfin : les écarts-types ne sont pas différents !

J’aurais eu tendance à penser, sans le voir de mes propres yeux, que passer un test dans le bruit en conditions spatialisées augmentait la variabilité des réponses. J’aurais eu tord. Comme quoi il faut se méfier de ses préjugés (cette règle de philosophie de vie vous est offerte par leblogaudiologie 😉 ).

Si on regarde un peu la littérature, on s’aperçoit que même si des écarts plus ou moins importants aux inflexions hautes et basses d’une courbe psychométrique sont constatés, ils se réduisent autour du RSB50 :

Courbes psychométriques pour le test de phrases dans le bruit de Göttingen

Il est donc tout à fait possible d’effectuer un test dans le bruit à voix de face et bruit spatialisé, sans craindre une dispersion des réponses autour de 50% d’intelligibilité. Mais il est peut-être plus prudent, si on veut le faire, de créer sa propre courbe de référence comme pour le FrMatrix avec 20 sujets à l’audition normale.

Attention cependant : ce que j’écris là n’est valable que sans appareils auditifs. Il est évident que la mise en place de systèmes focalisants sur le message utile faussera tout ceci, en fonction de la performance dans le bruit de l’appareillage. Mais aussi de l’âge du capitaine…

Atelier informatique (toujours pareil, pour les plus fous !)

Tout d’abord, il faut installer le logiciel libre R, et ensuite, pour un usage plus « amical », son interface graphique RStudio.

Ensuite, installer le package « quickpsy ». Menu « Tools » de RStudio et « Install packages », saisir « quickpsy » :

Ensuite dans RStudio, importer le fichier Excel téléchargé plus haut, dans « Import Dataset » et « From Excel » :

Vous êtes prêts à analyser les données, et le fichier devrait porter alors le nom poétique de « Donne_es_FrMatrix_re_elles », car R n’aime pas les accents. Raciste !

Pour ce faire, si vous avez un peu parcouru l’article des créateurs du package Daniel Linares et Joan López-Moliner, vous pouvez commencer à analyser les données avec ces commandes :

fit<-quickpsy(Donne_es_FrMatrix_re_elles, RSB, k, N, B=1000, grouping= .(Test, Condition))

Ça prend du temps, car R va effectuer, en gros, 1000 fois les ajustements aux données (bootstrapping) en effectuant une sorte de tirage avec remise (c’est à dire en créant de multiples échantillons à partir de l’échantillon initial). Ensuite, pour afficher toutes ces jolies courbes :

library(gridExtra)
grid.arrange(plotcurves(fit), arrangeGrob(plotpar(fit), plotthresholds(fit), ncol = 2))

Voilà, vous devriez retrouver le graphique ci-dessus.

Bien sûr, plein de choses sont possibles avec ce package « quickpsy », comme afficher les RSB au SRT, définir le SRT (50% ? 60% ? autre), leurs écarts-types, afficher les paramètres des courbes, etc.

Voilà. Une petite pierre de plus est apportée au muret de la connaissance des tests dans le bruit : non, la spatialisation du FrMatrix ne semble pas avoir de répercussion sur la variabilité des réponses.

Prochain épisode avec le VRB !

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