Ce billet va retracer et résumer une petite dizaine d’années d’interrogations, d’essais, de tâtonnements même pour atteindre une certaine précision de nos mesures audiométriques, acoustiques, et nos réglages. Je pensais “boucler la boucle” car une (relativement) récente norme ANSI en 2013 puis IEC en 2015, a normalisé la mesure du RECD, qui devient maintenant plus compréhensible.
*le truc jaune ou beige dans l’oreille = la mousse expansive des inserts…
Cela fait des années, si vous suivez un peu ce blog, que Sébastien et moi vous parlons de l’audiométrie aux inserts, du RECD, et de leurs intérêts.
Soit vous vous êtes lassés, en pensant que nous sommes mono maniaques (surtout moi 🙂 ), soit, grands fous que vous êtes, vous en redemandez encore ! Voici donc en résumé de quelques lignes nos “errements” sur le sujet ces dernières années, jusqu’à l’aboutissement d’une mesure normée du RECD tout récemment.
Donc, si vous avez bien suivi tous les épisodes de ces dernières années, vous avez pu dégager les grandes lignes de notre philosophie d’appareillage :
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L’audiométrie tonale ne nous intéresse pas !
C’est très provocateur, mais c’est la réalité. Il faut voir l’audiométrie pratiquée par les audioprothésistes comme un moyen, et non une fin. Les dB HL sont des valeurs d’émission, alors que nous traitons de la réception, en dB SPL. Si nous ne nous intéressons pas à la “cuisine” permettant de transformer ces dB HL en pression acoustique au niveau du tympan (en dB SPL donc), d’autres (les fabricants) s’en chargeront à notre place. Avec plus ou moins de succès et plus ou moins de perte de contrôle de notre part.
Cette recherche du Graal de l’audioprothèse avait commencé là.
A l’époque pourtant pas si lointaine, piqué au vif par Clément GEORGET (que je salue, où qu’il soit) et Sébastine GENY, nous débattions de termes et de concepts un peu barbares, voire barbants…
Heureusement, Nadège est arrivée et a calmé tout le monde ! Merci Nadège… un peu de féminin dans ce monde de Mecs !
Son mémoire a mis en évidence l’extrême relativité d’un seuil d’audition quantifié en dB HL, et les “fonctions de transfert” très périlleuses pour passer des dB HL émis à une pression en dB SPL au niveau du tympan…
La conclusion de tout cela, c’est qu’en fonction du transducteur audiométrie utilisé :
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La mesure in vivo ça ne sert à rien !
Si, si, vous avez bien lu.
Si on reprend un peu ce qui a été écrit et même mieux, rédigé, nous nous sommes aperçus que pratiquer une mesure de pression acoustique au tympan avec appareil, alors que le niveau au tympan est inconnu dans un ordre de 10 à 20dB, tout cela est vain.
Il est admis que le mesure in vivo est précise à 3dB près. A quoi bon faire une mesure précise à 3dB (voire 1dB au coupleur), si le seuil nous est inconnu à plus de 10dB près (et je ne parle que des adultes) ?
La solution, pour être certain de passer sans trop d’approximations des niveaux HL aux pressions en dB SPL déclenchant la sensation sonore est d’utiliser un transducteur audiométrique qui se prête facilement à la conversion :
- Mesurer les seuils en champ libre : l’idéal absolu, à condition d’avoir une cabine quasi anéchoïque, ultra-silencieuse, et de pouvoir masquer totalement l’oreille contre-latérale… donc quasi-impossible en pratique. Son passage en dB SPL = dB HL + RETSPL + REUG
- Mesurer les seuils aux inserts : l’oreille est bouchée très hermétiquement et son volume résiduel relativement bien connu alors. Le passage en dB SPL = dB HL + RETSPL + RECD.
- Le casque, quel que soit le modèle : à éviter, définitivement… Voir mémoire plus haut.
Je mets en ligne, à la demande de certains participants, l’atelier du congrès 2017 sur l’usage des inserts et leurs multiples avantages sur le sujet.
Donc pour résumer, la mesure in vivo doit s’appuyer sur une base audiométrie irréprochable.
L’approximation de ce qui se passe au tympan en dB SPL, sur une base HL aux inserts, est de l’ordre de +/-5dB (zone rouge = 95% des sujets testés) :
Et pour aller plus loin encore vers la précision au tympan, il est possible de réduire encore cette incertitude par la mesure du RECD :
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Le RECD : une mesure pour les mecs et les filles qu’en ont !
Qu’en ont quoi ?! Une chaîne de mesure, bien sûr !!!
Pourquoi ne fait-on pas si facilement l’enseignement et la mesure du RECD ?
Car pour une mesure censée apporter de la précision, être obligé de choisir entre (au minimum) 5 méthodes différentes de mesure du RECD, avec des résultats aussi différents que cela, ça fait réfléchir :
Ces mesures sont véridiques, et dépendent :
- de la fuite acoustique BF,
- des transducteurs utilisés,
- de leurs impédances respectives,
- etc.
Déjà très tôt, Munro&Salibury avaient alerté sur le besoin d’éviter de changer de transducteurs entre l’audiométrie et la mesure du RECD.
Plus récemment, Saltykov&Gebert démontraient les grandes erreurs possibles dans la mesure du RECD, en fonction des différences d’impédance lors des étapes coupleurs et oreille de la mesure du RECD.
Les conclusions de cet article ont certainement été utilisées dans l’écriture de la norme ANSI S3.46-2013. Et plus récemment, sa transcription dans une norme IEC en 2015.
Vous trouverez dans ce résumé les questions et recommandations de la norme IEC:2015 sur les conditions de mesure idéales du RECD. Grossièrement, le RECD devra être mesuré comme est réalisée l’audiométrie; autant que possible, son étape coupleur devra être réalisée au coupleur HA1 (le coupleur 2cc intra).
Enfin, une future norme de calibration permettra bientôt de calibrer les inserts dans un coupleur de 0,4cc; certaines chaînes de mesure permettent de mesurer le RECD sur une base coupleur de 0,4cc.
Ce changement de volume (de 2cc à 0,4cc) permet de se rapprocher encore plus du volume résiduel réel de l’oreille occluse, et donc de minimiser les approximations lors des fonctions de transfert HL–>SPL et de permettre également la mesure avec une bande passante beaucoup plus étendue que 8000Hz.
Il semblerait en effet que l’usage de ce coupleur de 0,4cc diminue la variance des mesures inter-individus; et en diminuant la variance du RECD, on diminuerait la variances des niveaux atteints en SPL en fond de CAE.
Vous trouverez toutes les bases de données, analyses et codes d’analyse ici : https://drive.google.com/open?id=0BykDqkML2u9hamN4NjZnSWhMaVE
Ou ici : https://drive.google.com/drive/folders/0BykDqkML2u9hamN4NjZnSWhMaVE?usp=sharing
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Conclusion
Il aura fallu attendre plus de 20 ans pour qu’un acte qui peut paraître aussi trivial qu’une audiométrie tonale soit considéré comme le point de départ fiable d’un appareillage auditif ajusté avec précision. Nous sommes d’accord cependant : “ajusté avec précision” ne veut pas dire “idéal”, forcément. Mais la réciproque n’est certainement pas correcte non plus 😉
Je voulais insister sur l’extrême simplicité de la mesure du RECD telle qu’elle est maintenant normalisée. Ce n’est plus une mesure “de rat de labo”. Elle est qualitative, dans l’image qu’elle renvoie et les informations qu’elle nous donne.
Je pense que la boucle a aujourd’hui été bouclée, que ces moyens matériels audiométriques (les inserts) son corollaire audiologique (le RECD) sont simples et fiables. Promis, je ne reviendrai plus sur le sujet !!
La suite aux prochains épisodes, car il y a encore plein de choses à dire sur d’autres sujets encore plus intéressants. C’est ce qui est passionnant en audiologie prothétique…
Imparable ! merci Xavier !
Merci Sébastien.
Pas mal de chemin 😉
Xavier,
Je fais partie des “grands fous” qui se régalent à te lire !
Je voulais donc te remercier pour cet excellent article et aussi pour le .pdf “l’atelier du congrès 2017″que tu nous annexes, qui est une pure merveille !
Merci, d’une façon plus large, pour tout ce travail de vulgarisation que beaucoup d’entre nous essaient d’intégrer dans leur pratique quotidienne.
JYM
Merci Jean-Yves.