Coup de foudre et longueur du littoral breton

Ou comment hameçonner un lecteur avec un bon titre !

La côte bretonne, un coup de foudre, deux oreilles… un coup de foudre auditif. Comment pourrait-on traduire cela ? « Love at first sound » par exemple ?

C’est déjà pris !? Mince !

Lecteurs informés qui avez suivi un peu les nouveautés technologiques de ces derniers mois en audioprothèse, peut être voyez vous quel est le sujet de ce billet.

Comment pourrait-on définir un bon et un beau son ? Et à plus forte raison, puisque les marketeux ne reculent devant rien, un « Coup de foudre auditif » ?

Y a t-il des moyens (légaux) et objectifs de le mettre en évidence ? Mais au final, nos oreilles ne sont-elles pas les meilleures juges, avec « l’art perdu de l’écoute des aides auditives » ? (je cite cette belle formule d’un confrère). Mais en matière de qualité d’écoute subjective, il suffit de lire les divers blogs audiophiles pour comprendre qu’on n’est pas sortis de l’auberge !

Une réponse à ces questions, une réponse objective, avait peut être été apportée il y a quelques années déjà (1994) par Fortune avec l’indice de différence d’enveloppes : l’EDI (Envelope Difference Index).

L’EDI est un indice quantifiant les altérations de l’enveloppe temporelle par l’appareillage auditif (pour ce qui nous concerne). Cet indice peut varier de 0 (0% d’altération) à 1 (100% d’altération).

Fortune et ses co-auteurs calculent l’EDI comme ceci :

Calcul de l’EDI par les valeurs absolues deux signaux

Pour ce faire, le signal d’entrée (avant amplification) et le signal de sortie (après amplification) sont comparés. Mais ils doivent avoir strictement la même durée, être strictement alignés temporellement et être normalisés en amplitude (de 0 à 1 par exemple). Seules leurs valeurs absolues sont comparées. En 1994, les auteurs entendaient par « Enveloppe » non pas le résultat d’une transformée de Hilbert (qui donne en quelque sorte le contour temporel du signal), mais la valeur absolue du signal, avec toutes ses variations temporelles de pression (partie positive)

. L’EDI est en quelque sorte l’aire entre le signal à l’entrée du micro de l’aide auditive (signal a, ici en rouge) et le signal à la sortie de l’aide auditive (signal b, ici en bleu) :

EDI Fortune – 0.437

On s’aperçoit que des pics, il y en a !

Et la côte bretonne ?

On s’aperçoit AUSSI que la longueur du littoral breton pourrait être… infinie. En effet, si pour la mesurer on prend un empan de 1mm à la place d’un empan de 100km, sa distance tend vers l’infini. Je vous laisse lire à ce sujet ce site très intéressant mêlant les fractales à nos vies quotidiennes, ça nous changera de l’audioprothèse !

Avant d’aller plus loin, nous sommes bien conscients qu’une aide auditive moderne, par essence, peut altérer le signal et son enveloppe temporelle. Et c’est même des fois recherché :

  • le taux de compression altère l’enveloppe, mais aussi…
  • le temps d’attaque,
  • le temps de retour,
  • les divers algorithmes de traitement du signal

Vous trouverez une illustration de cette détérioration dans cet article mettant en évidence l’effet d’un temps de retour de compression de 12ms.

Pour revenir à notre littoral breton à nous, les zodios : si on prend en compte un maximum de pics du signal pour ce calcul d’EDI, on va donc avoir une longueur du contour de ces pics importante, et donc potentiellement une aire (donc un EDI) importante entre le signal d’origine et le signal amplifié. Je reviens à l’illustration précédente, d’un appareil auditif (de Classe I, je précise). Son EDI est de plus de 0.430 (plus de 43% !). Cela signifie que cette aide auditive déforme l’enveloppe de plus de 43%. Ce n’est quand même pas rien…

Mais plus récemment, divers auteurs ont suggéré que le calcul de l’EDI pouvait s’obtenir sur la base de l’enveloppe du signal extraite par transformée de Hilbert. On obtient donc pour le même enregistrement, un EDI de 0.305 :

EDI = 0.305 par transformée de Hilbert

Et si on lisse encore cette enveloppe, on augmente l’empan en quelque sorte, alors l’EDI chute nettement, à 0.180 :

EDI = 0.180 par transformée de Hilbert – Enveloppe lissée

Alors, quelle est la bonne mesure d’EDI ?

  • Par la valeur absolue du signal ?
  • Par son enveloppe extraite par transformée de Hilbert ?
  • Par cette même enveloppe lissée ?
  • En comparant le signal amplifié avec le signal numérique d’origine ?
  • En comparant le signal amplifié avec le signal capté par un microphone de référence capté dans les mêmes conditions acoustiques ?

Je répondrai : la réponse est comprise, comme la longueur du littoral breton, entre 0 et l’infini !

Nous voilà bien avancés… et ce « Coup de foudre auditif » promis alors ?

Alors je vais être méchant (avec vous, car je ne donnerai aucun nom !) : vous avez ici tous les appareils auditifs « premiums » (ça me fend les doigts d’écrire ce mot) de 2019, plus quelques Classe I et même un Sonalto (paix à son algorithme) :

EDI de 6 AA de Classe II, 3 AA de Classe I et un PSAP en 2019

Finalement, quand aucun consensus n’émerge sur une méthode de calcul absolue, autant utiliser une méthode quelconque pour comparer entre elles les aides auditives, réglées toutes sur une même cible de bande passante, mais avec leurs algorithmes et compressions propres. Et on constate que leurs EDI varient de 5,5% de déformation de l’enveloppe temporelle à plus de 37%, ce qui n’est pas rien ! On est en moyenne à 0,22.

Et alors ? Qu’en déduire ? La littérature est peu précise à ce sujet, mais considère qu’un EDI supérieur à 0.250 serait préjudiciable à l’intelligibilité (p46 et suivantes).

Les fabricants sont peu diserts sur cet aspect des choses, et préfèrent les annonces non vérifiables à des chiffres précis. Le seul qui s’y soit aventuré à ma connaissance est Bernafon avec ce poster.

Il semblerait que cet aspect des choses, en lisant ce poster soit pris en compte mathématiquement, donc connu. Mais qui le fait réellement ? Je regrette que nous ne soyons pas plus au fait de ces points de traitement du signal.

Comment analyser la promesse d’un fabricant mettant en avant, on va dire, « une adéquation immédiate du patient avec la qualité sonore de son amplification » ? Ce calcul d’EDI est peut être un début de preuve objective. La réponse est dans les illustrations du dessus, mais je me garderai bien ni d’amener du vent dans les voiles du marketing, ni l’inverse. Je deviens prudent, ça doit être ça…

A ce sujet, et à mon petit niveau, je voulais remercier 10000 fois pour leur disponibilité et leurs conseils :

  • Christophe LESIMPLE de Bernafon AG
  • Franck LECLERE, Audioprothésiste D.E.

Enfin, je recommande, pour ceux qui voudraient aller plus loin, mais aussi à tous les étudiants en audioprothèse la lecture du livre Sound Analysis and Synthesis with R, de Jérome SUEUR. Les illustrations et calculs de ce billet sont issus des fonctions (très bien) décrites de ses pages. Les premiers chapitres suivent bien le programme du D.E. sur l’analyse du signal et les suivants décrivent les fonctions du package Seewave de R.

2 commentaires sur “Coup de foudre et longueur du littoral breton

  1. Xavier,

    Que je suis heureux de lire ce blog !

    Tu es dans le droit fil de ce que Jean-Claude LAFON pensait (en 1994 lui aussi, comme Fortune et ses co-auteurs) qu’il faille faire pour juger de la valeur d’un appareil auditif.
    Les « LAFON 91… » et « LAFON 92… » que je vais publier bientôt traitent justement de ce sujet.
    Il me semble que ton « Coup de foudre et longueur du littoral breton » et eux se font écho.

    Bravo Xavier, bravo.

    Jean-Yves

    1. Merci Jean-Yves. C’est toujours dans le but de prendre un peu de distance et d’essayer d’apporter quelques éléments de réflexion pour tenter de comprendre ce qui se passe derrière les discours.
      Cette notion d’EDI n’est pas nouvelle et elle a été plus récemment explorée par Souza et Jenstaad; elle n’est pas non plus très complexe et nous parle bien, à nous, audioprothésistes.
      En plus elle fait écho à une notion que j’apprécie, d’écologie prothétique, où l’on s’aperçoit que le « trop » en audio peut conduire à une contre performance.

      J’ai relu récemment le livre de Fournier (Abrégé d’Audiométrie) de 1949, et que j’ai dû mettre sur ce blog je crois, et humilité… comme avec Lafon, nous n’avons pas inventé grand chose !

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