Suite du premier et second billet.
Troisème test après celui ci et celui ci.
Troisième (et dernier) candidat : WIDEX UNIQUE 440 Fusion
Il s’agit d’un RIC pile 312, successeur du circuit DREAM 440.
Le Widex UNIQUE marque une rupture technologique qui semble importante chez ce fabricant puisque l’on a pour la première fois une détection automatique de 9 environnements sonores différents, le choix entre la transposition fréquentielle “classique” ou une duplication (mais ce n’est pas le sujet qui nous intéresse aujourd’hui), 4 convertisseurs A/D de 18bits, soit pas loin de 108dB de dynamique, un seuil d’enclenchement possible vers 5dB SPL (étonnant), etc… Surtout, et là c’est plus surprenant (pour les audios habitués à la marque) et intéressant, l’amélioration de l’intelligibilité ne repose pas uniquement sur un réglage de “réduction du bruit” à proprement parler, mais plusieurs réglages de détection et et d’amplification de la parole (Speech Enhancer), dont un mystérieux réglage “Audibilité”. Widex explique d’ailleurs que les patients agissant sur le potentiomètre à la hausse, agiront spécifiquement sur ce réglage de renforcement de la parole.
Alors ? Marketing tout ça ou réelle avancée technologique ?
Appareil testé sur un pré-réglage avec méthodologie propriétaire Widex, base audiogramme KS100. Le LTASS de la voix moyenne (65dB SPL) a été mis sur une cible sur DSL 5.0a, base insert et RECD HA1, comme pour les autres appareils testés, afin de tous les comparer dans des conditions de réglages similaires. Pour ce Widex UNIQUE comme pour les autres appareils testés, les rapports de compression sont restés tels que préconisés par leurs fabricants respectifs.
Laisser faire les automatismes ou “fixer” l’appareil dans un mode particulier ?
Connaissant depuis un petit moment déjà l’anti-larsen Widex, on pourra certes lui reprocher plein de choses, mais en aucun cas d’inverser la phase du signal. C’est le genre d’effets collatéraux que l’on découvre en faisant ce genre de tests… Donc, et contrairement aux autres fabricants testés précédemment, j’ai décidé :
- dans un premier temps, de le tester en désactivant la détection automatique d’environnements, d’activer le micro directionnel fixe avant, mais en activant ce fameux réglage “d’audibilité” au maximum; donc en fixant l’appareil dans une sorte de mode “parole dans le bruit”, avec anti-larsen actif
- puis de le tester dans un second temps “tel quel”, sans activer, désactiver ou sur-activer de traitement du signal particulier, ni désactiver la reconnaissance automatique d’environnements. Je ne l’avais pas fait lors des essais précédents, les extractions n’auraient alors pas été possibles à cause de l’anti-larsen par opposition de phase des deux appareils précédents testés (et dans une moindre mesure, de la détection automatique des environnements)
- enfin, de comparer les deux conditions afin de savoir si ce réglage d’extraction de la parole améliore réellement le RSB
Les résultats “visuels” à RSB -5dB :
Les connaisseurs de Widex reconnaitront le fonctionnement typique de la marque : la réduction du bruit et/ou l’activation du mode directionnel est très progressif, mais nettement plus rapide que sur les modèles précédents où il fallait 10 à 15 secondes à l’appareil pour activer ses divers systèmes. Sur cet UNIQUE440, c’est beaucoup plus rapide : environ 7 secondes. Les crêtes semblent bien préservées tout au long de la mesure, n’oublions pas que nous sommes à un RSB de -5dB en entrée.
On écoute ?
Voici d’abord ce que le micro de référence capte en cabine à RSB -5dB :
Et ce que ça donne à l’écoute en cabine, sans appareil (il y a de l’ambiance !) :
Et voici avec l’appareil, toujours à RSB -5dB en entrée, réglage d’audibilité au maximum (c’est l’écoute du visuel avec les zones temporelles entourées) :
On sent très nettement, entre la 12ème et la 15ème seconde, la réduction du bruit. La parole devient alors de plus en plus audible. Est-il plus probable que ce que l’on entende soit dû à l’enclenchement du microphone directionnel et/ou à l’activation d’un réducteur de bruit ? Nous verrons cela plus en détail par la suite… Suspenssssssss inssssssoutenable !!
Des chiffres (réglage “Audibilité” maximum + micro. dir. fixe avant) :
Juste à noter, un détail : les extractions des signaux issus du Widex UNIQUE 440 ne peuvent se faire qu’avec un alignement par l’enveloppe des signaux SpN, SmN, mSmN et mSpN. Impossible d’avoir des extractions correctes en alignant par la structure fine… à l’inverse des deux autres fabricants testés ! Mystère…
On trouve sur ce graphique :
- ce que capte en parallèle le micro de référence (lignes 10 à 14)
- les Leq en dBA(30s) respectifs du signal et du bruit (colonnes D et E)
- lignes 3 à 7 : les extractions avec le UNIQUE 440
- colonne C3<–>C7 le RSB réel en entrée (issu du micro de réf.)
- colonne I3<–>I7 le RSB en sortie de l’appareil
- colonne J17<–>J21 la différence entre le RSB à la sortie de l’appareil et le RSB réel en cabine (mic. de réf.)
La parole est très stable (delta de 3,5dB de RSB +10 à RSB -10), l’appareil “n’emporte pas” le signal avec le réducteur de bruit (ça arrive des fois…). Le bruit varie de 20 dB en entrée pour 17dB en sortie.
L’amélioration du RSB par l’appareil est d’environ 8dB dans ce mode (colonne I – colonne C) de +10 à à 0dB en entrée. Les deltas sont en J17<–>J21.
On est donc face à un appareil très performant dans le bruit, présentant un très efficace mode directionnel, mais couplé à un système qui semblerait préserver (donc différentier ?) le signal utile. Comment mettre en évidence ce système ? S’agit-il plutôt d’un réducteur de bruit ou d’un détecteur/expanseur de parole ?
“Audibilité renforcée” : réglage utile ou gadget ?
Vous vous demandez certainement (comme moi…) si le fait de déplacer un curseur de deux crans va réellement agir sur l’audibilité de la parole. Et quelle est l’action de ce réglage ? Une réduction du bruit dans les silences de la parole permettant une émergence du signal utile (comme le Bernafon) ? Ou au contraire une détection des indices vocaux et une amplification renforcée sélective ?
Une seconde série de mesure à été refaite :
- comme la précédente, audibilité max et mic. directionnel avant fixe
- réglage “standard” en mode automatique total
AN : le réglages sont très reproductibles, puisque les deux mesures faites en “audibilité max. + mic. dir.” sont quasi-identiques sur les deux mesures.
Réponse avec l’analyse LeqA des divers signaux extraits sur les 30 dernières secondes (de 40″ à 1’10”) du mix signal + bruit (donc après l’activation du microphone directionnel qui a dû se produire dans les 7 premières secondes) :
Les réglages des gains sont les mêmes dans les deux conditions :
- Il n’y a quasiment pas de différence entre les niveaux du bruit (lignes E3/E7 et E11/E15) avec le réglage d’audibilité “moyenne” ou “maximum” : le LeqA(30s) évolue dans les deux conditions de 63 à 80dB environ de +9 à -11dB de RSB(in). Le réglage d’audibilité n’est donc pas principalement un réducteur de bruit.
- Par contre, on constate un net renforcement du signal de parole entre les deux conditions : +3 à +5dB en “audibilité maximum” par rapport au réglage “standard” (lignes D3/D7 par comparaison à D11/D15).
C’est donc l’action de ce réglage qui explique l’amélioration du RSB entre les deux conditions. Il ne s’agit donc pas d’un réducteur de bruit, mais bien d’une détection spécifique et d’un renforcement du signal de parole.
Voici la progression du UNIQUE 440 :
L’amélioration du RSB est de 4dB environ en “mode auto” (courbe orange), ce que bien des fabricants aimeraient atteindre en mode directionnel fixe et RB au maximum… On notera juste que l’appareil, dans les deux modes de réglages va privilégier le confort plus que l’efficacité sous RSB 0dB.
Par contre en mode d’audibilité renforcée (courbe rouge), l’appareil regagne encore 4dB de RSB, ce qui donne au total une amélioration du RSB de 8dB entre 0 et +10dB et 6 à 7dB environ entre -10 et 0dB. Impressionnant tout de même, c’est le maximum mesuré jusque là entre les divers fabricants en monaural…
Au-delà de la performance pure, certains appareils performants atteignent quasiment ce niveau, mais avec une qualité sonore du signal utile très “artificielle” (je présume, hachée par les compressions). Ici, et c’est souvent le cas chez Widex, la qualité du son reste très bonne. Les extractions (en sortie de l’appareil) donnent un signal de parole clair, comme ici extraite des 30 dernières secondes d’un mix RSB -5dB :
Ca fonctionne quand même bien la méthode de séparation des signaux par opposition de phase… Merci Messieurs Hagerman & Olofsson !
Il faudra un jour que je vous fasse écouter les extractions de parole de 7 fabricants testés, en blind test : nous aurons des surprises dans la qualité sonore… C’est un aspect des choses ignoré, mais qui doit avoir aussi son importance…
Emergence du message
Widex dit utiliser un SII “HD” dans son algorithme. Je ne connais pas de norme SII “HD”… mais la bonne vieille (et toujours en vigueur) norme ANSI S3.5-1997 qui définit le calcul du SII, auquel, c’est vrai, on peut ajouter un calcul (non encore normé) du SII bilatéral. Bref… améliore t-il le SII ? On peut présumer que oui puisque la parole est détectée et amplifiée sélectivement.
Voici ce qui se passerait si l’appareil n’améliorait pas le RSB (situation encore fréquente ces dernières années…) :
Le SII avec l’appareil serait d’environ 0,38 à RSB 0dB.
Et avec l’appareil, dont l’amélioration RSB est d’environ 7,2dB à RSB 0dB en entrée :
Le SII passe à 0.61 (SII calculé sur base audiogramme KS100, signal à l’avant et bruit arrière, par le logiciel SIP-Toolbox).
On obtient une émergence améliorée de 23% du signal par rapport au bruit. Pour vous donner une idée : un SII de 0,33 est suffisant à un normo-entendant pour répéter 50% des mots de listes dysyllabiques, et 0,4 pour répéter 90% des phrases d’un test (selon la norme SII).
Vous noterez au passage qu’il serait impossible d’obtenir un SII supérieur à 0,8…
Conclusion(s)
- Le réglage “Audibilité” de ce Widex UNIQUE 440 fonctionne bien comme un détecteur et “expanseur” de parole
- absence de potentiomètre standard, remplacé par ce réglage croissant de détection de la parole améliore progressivement de RSB; vous êtes gêné pour comprendre dans le bruit = appuyez sur la touche + !!!
- les meilleurs résultats dans le bruit (+8dB de RSB) sont obtenus avec un programme spécifique, en désactivant le détecteur d’environnements, en mode directionnel fixe et audibilité au maximum, comme sur les modèles testés précédemment. La directionnalité fixe potentialise toujours nettement l’action des algorithmes.
Fichiers et extractions
Pour les incrédules de la méthode (ou des résultats obtenus), ce que je peux comprendre, vous trouverez à l’adresse de ce lien tous les fichiers de calibration des micros de référence (Behringer) et de mesure (DPA) ainsi que les enregistrements avec ce UNIQUE 440 FS, découpages des séquences et extraits correspondants de parole et bruit à chaque RSB. Condition de test : Audibilité max. et mic. dir. fixe avant.
Formule d’usage : l’auteur signale un lien d’intérêt avec le fabricant testé, puisqu’il a accepté de me prêter cet appareil avant sa commercialisation officielle, mais pas dans le but de ces tests. Le “risque” est relativement important pour Widex qui a décidé de prêter quelques appareils à des fins comparatives à des patients déjà équipés de technologies évoluées. Si les résultats n’avaient pas été à la hauteur, je n’en aurait peut-être pas parlé, et chacun se serait fait son idée. Ce n’est pas (à mon humble avis), le cas. Comme d’habitude, n’y voyez aucune malice (et d’ailleurs, j’arrête la diffusion publique de ces tests, en attendant que les facs, en études multi-centriques, prennent le relai avec du matériel professionnel en cours d’installation), ne déduisez rien d’absolu au vu des seuls résultats. L’appareillage auditif est une alchimie entre l’audioprothésiste, son patient et la technologie la plus appropriée qu’ils choisissent en commun.
Ce troisième test conclura donc les billets sur l’analyse du RSB en sortie d’aide auditive par la méthode de séparation des signaux de Hagerman & Olofsson. Elle est cependant incomplète, car potentiellement améliorable par une même mesure, mais en binaural.
Il est intéressant (j’espère) et rassurant de voir que la technologie a énormément évolué ces dernières années. Ce que nous ressentons vaguement dans les dires de nos patients est une réalité tangible et mesurable avec quelques appareils récents.
J’ai entendu parler (mais je ne lis pas ce genre d’articles) qu’un journal de consommateurs assimilait les appareils auditifs à des biens électroniques de grande consommation, et dont le prix ne pouvait que baisser dans le temps, comme tout bien électronique qui se respecte… C’est bien vite oublier que toutes ces améliorations sont le fruit d’algorithmes de plus en plus sophistiqués associés à l’évolution de composants ultra-spécifiques à l’appareillage auditif. Ces derniers ne sont qu’au service des premiers. Car, quelle est la différence entre l’appareil d’il y a 5 ans, et par exemple ce Widex UNIQUE 440 ? Pas le micro directionnel…
Cette recherche, je veux bien le croire, nécessite des moyens colossaux en temps, en cerveaux et technologie.
Les appareils de 2015 n’ont finalement plus grand chose en commun avec ceux de 2005, mais présentent des spécificités importantes de comportement inter-marques.
Entre celui qui privilégie le confort avec une diminution de sonie importante, mais en conservant toujours un RSB amélioré, celui qui mise sur un “nettoyage” du bruit dans les silences de la parole, celui qui va chercher à améliorer la perception des crêtes afin d’améliorer le RSB, et que sais-je encore, les différences de fonctionnement sont très variées et très différentes selon les fabricants.
Pouvons-nous penser un seul instant que tous pourraient s’adapter indifféremment à n’importe quel patient ? Certainement pas…
Malheureusement, la seule lecture des fiches techniques ne nous renseignera pas sur leurs manières d’agir. Et certaines fois, la présentation de ces technologies se résume à une soirée promotionnelle…
A nous d’être curieux 😉
“Send out the Signals… Deep and Loud !”*
Et pour finir cette série de 5 billets sur une note légère, un peu de musique avec un très beau morceau de Peter Gabriel (* paroles de la chanson) qui colle bien au sujet : Signal to Noise ! Où même le bruit peut devenir signal, si on le décide…
Encore merci à Franck et François-Xavier !
MAJ : avec tous les enregistrements de base et extractions
MAJ : calcul du delta SII sur base audiométrique KS100.