Dans un souci légitime de réaliser en cabine des tests en conditions “comme pour de vrai”, les audioprothésistes se dotent depuis quelques années de systèmes de reproduction sonore 5.1, 7.1, etc., immergeant le patient sur le quai d’une gare, au restaurant ou autre, tout en lui demandant de répéter un message.
C’est louable, et c’est ce pourquoi il vient nous voir le plus souvent (intelligibilité en milieux bruyants). Mais après ? Qu’en conclure ?
Faire un “sans/avec” ou un “avant/après” (RB, mic. dir.,) est à la rigueur possible, puisqu’il s’agit de comparer deux conditions de test différentes…
Mais en aucun cas nous ne pourrons dire à un patient “Vous êtes dans la norme”, ou “Plutôt mieux que la moyenne”, car nous ne pourrons pas nous référer aux valeurs absolues de référence établies pour un test dans le bruit particulier.
Pourquoi ?
Parce qu’à l’heure actuelle, il n’existe en France aucun test dans le bruit “clinique”, c’est à dire appliqué tel qu’il a été conçu !
Certes, nous pouvons faire du/des bruit(s) pendant un test d’audiométrie vocale, par exemple lors de l’ANL et du HINT qui ont été conçus pour être administrés en milieu bruyant, mais c’est oublier que ces tests, dans leurs versions d’origine, n’utilisent pas n’importe quels bruits. Et c’est là que réside tout leur intérêt et leur robustesse : le bruit utilisé en parallèle au message a été spécifiquement créé en fonction du matériel vocal utilisé.
Un audioprothésiste français souhaitant aujourd’hui faire un test dans le bruit va, par exemple, émettre les phrases du HINT (Hearing In Noise Test) dans leur version française à un niveau fixe de 65dB SPL, et envoyer en même temps l’OVG (Onde Vocale Globale) dont le niveau variera au cours du test par paliers de 5dB autour du niveau des phrases à répéter. Si cet audioprothésiste possède un système plus élaboré de reproduction sonore avec un logiciel lui permettant de choisir son bruit dans une banque de données, il décidera peut être d’utiliser un bruit qu’il jugera plus réaliste : par exemple une simulation de restaurant sur le même principe de variation du rapport signal/bruit.
Rapport signal/bruit (RSB) ?
- Ls est l’énergie du signal à comprendre (ANL) ou répéter (HINT),
- Lb l’énergie du bruit qui va être émis à divers niveaux en parallèle,
- l’usage courant se base sur les niveaux à long terme (RMS) de chaque signal pour déterminer le RSB:
Donc, si on suit bien cette équation, les phrases du HINT, le texte de l’ANL ou les listes dissyllabiques de Fournier émises à 65dB SPL, plus l’OVG (Bruit de “cocktail”), un bruit de restaurant ou un bruit blanc à 65dB SPL donneraient pour chaque condition un RSB = 0dB ?
Vous pressentez bien à la lecture de cette phrase que quelque chose cloche… Comment des signaux de bruit aussi différents qu’un bruit blanc (WN), l’OVG ou une ambiance de restaurant pourraient-ils donner un RSB identique parce qu’ils sont “juste” émis au même niveau que la parole ?
C’est de la simplification de ce calcul de RSB que vient l’erreur des “tests dans le bruit faits maison”, car ils ne sont alors plus utilisés dans leurs versions d’origine. Dans l’équation ci dessus, il manque “juste” un petit quelque chose :
C’est le f !
Pour faire un “vrai” test d’audiométrie vocale dans le bruit, le RSB doit être identique à chaque fréquence entre le signal et le bruit ! Ce qui veut dire en clair que si vous administrez un test à un RSB de +5dB (le bruit est 5dB plus faible que le signal), vous devrez retrouver cette différence entre les deux signaux à 251Hz, 1356Hz, 4800Hz, etc. et non pas uniquement entre le niveau global du signal et du bruit car dans ce cas, il est possible que le RSB réel soit de +13dB à 6000Hz et -1dB à 800Hz, etc.
Un signal de bruit doit donc être spécifiquement créé pour les listes vocales avec lesquelles il est émis.
Exemple: sur le graphique ci-dessous ont été représentées les densités spectrales de niveau (le niveau en dB pour chaque fréquence, en Hz) des listes dissyllabiques de Fournier (en bleu, voix d’homme) concaténées (élimination des silences) face à l’OVG (en rouge):

- Déjà une chose : les audios ayant encore de bonnes oreilles ont certainement dû ressentir ce vague bruit de couverts renversés au loin (excusez l’image !) lors de l’émission de l’OVG… c’est le méchant pic à 18KHz !
- Ensuite : le niveau des listes de Fournier a été aligné sur celui de l’OVG (donc RSB = 0dB pour leur niveau global), mais on voit bien que leur niveau n’est pas égal à toutes les fréquences. Deux marqueurs (violet, en pointillés et ligne continue) ont été placés à environ 7000Hz et la différence de niveau entre les deux signaux est d’environ 7dB (donc RSB = -7dB à cette fréquence…). Jusqu’à 5000Hz les deux signaux sont tout de même assez proches, mais “assez” n’est pas suffisant…
Pour les phrases du HINT (Hearing In Noise Test), concaténées elles aussi, mais qui n’ont pas été mises au même niveau que l’OVG, on constate quand même que leur DSN (Densité Spectrale de Niveau) n’est pas identique à celle de l’OVG, ce qui, là aussi, entraînera un RSB non homogène en fréquence entre ces deux signaux.
Comment ne plus “bidouiller” ? Comment passer du “bruit pendant le test” au “test clinique dans le bruit” ?
Les auteurs de la version française du HINT nous livrent les secrets de l’élaboration du signal de bruit utilisé dans ce test (p361, traduction maison) :
- toutes les phrases du test ont été mises au même niveau RMS après suppression des silences
- ces phrases ont ensuite été regroupées en un seul fichier
- le spectre à long terme de ce fichier a été calculé
- un filtre (FIR) correspondant à ce spectre à long terme sur 256 fréquences a été créé
- un bruit blanc a été filtré sur la base de ce filtre, dont la différence d’amplitude avec le LTASS des phrases n’excédait pas 0,6dB
Ceci permet donc d’être certain que le RSB est le même à toutes les fréquences, et à partir de là, d’établir des moyennes cliniquement robustes pour ce test.
Voici le résultat d’un bruit blanc (WN) filtré sur le spectre à long terme des phrases du HINT :
Et à l’écoute, un extrait de ce bruit blanc filtré sur le spectre à long terme (LTASS) des phrases (la courbe rouge – 2,2sec) :
Donc pour chaque test dans le bruit (HINT, QuickSIN, ANL), existe un bruit masquant spécifique au matériel vocal se trouvant en face. Les différences de résultats entre différents tests dans le bruit s’expliquant alors par le niveau d’abstraction du matériel vocal employé et non pas par la “difficulté du bruit”.
Dans leurs versions d’origine, le HINT doit être administré avec un bruit blanc filtré et l’ANL avec un “babble”. Ils n’ont pas été prévus pour être utilisés avec d’autres bruits, ou alors il ne s’agit plus des mêmes tests…
Un exemple du “babble” pour l’ANL (3sec.) :
Je ne sais pas si l’ANL a été développé pour être utilisé en français (mais c’est probable, car issu de recherches canadiennes), mais utilisé avec un texte enregistré quelconque et l’OVG ou un autre bruit non spécifiquement filtrés en face, ce test ne peut vous donner aucun résultat cohérent, car vous ne pourrez pas le rapprocher des grilles de notation de Nabelek, déterminées avec un texte bien spécifique ET un bruit bien spécifiquement filtré.
Le HINT existe pour sa partie phrases sur le CD n°3 du CNA. Le bruit sur la piste stéréo B de ce CD est l’OVG, et n’a pas été filtré spécifiquement pour ce test. Sachez pour la petite histoire que l’achat du HINT dans sa version d’origine, avec semble t-il un matériel spécifique d’administration du test, coûte plusieurs milliers de dollars !
Une solution (script) identique à celle présentée plus haut pour le HINT peut être utilisée afin de filtrer n’importe quel signal de bruit. Elle consiste tout d’abord à filtrer le matériel vocal selon le spectre vocal international (masculin, féminin, enfant) de Byrne & Al.
Exemple ci dessous, les listes de Fournier (voix d’homme) sont d’abord filtrées sur le ILTASS (International Long Term Average Speech Spectrum) “mâle” de Byrne :
Puis ensuite, l’OVG est filtré sur le résultat précédent (courbe noire avant filtrage/courbe rouge après filtrage) :
Ce qui donne d’assez bons résultats jusqu’à 12000Hz, malgré (ou à cause) ce … de pic présent dans l’OVG qui perturbe le filtrage dès 15000Hz.
On pourrait également faire la même manip. avec les phrases du HINT et l’OVG, selon le principe vu plus haut pour le bruit blanc. Bref, avec une telle méthode mathématique, on peut créer tous les bruits que l’on veut, qui seront de même DSN/même RSB à toutes les fréquences que les listes. Attention cependant : on s’éloigne de la version d’origine du test…
Ce design de bruit n’est pas réservé qu’aux tests d’intelligibilité dans le bruit. On le retrouve également le même souci d’un RSB constant sur 1024 points fréquentiels dans l’élaboration de l’IFNoise (International Female Noise) par l’EHIMA (téléchargeable dans la section “Technical documents” de cette page) qui est en tous points identique en DSN avec l’ISTS (testez, vous verrez !). Donc ce qui vaut au casque ou en champ libre, vaut également pour les tests au caisson lors de recherches de performances des aides auditives avec variations du RSB.
Utiliser du bruit blanc filtré ou un babillage filtré ne vous semble pas très “réaliste” ? Certes, mais c’est à ce prix que nous pourrons harmoniser toutes nos mesures, avoir des courbes de références solides, les comparer, et comparer de façon correcte des résultats obtenus dans divers endroits, par différentes équipes. Le début des “vrais” tests cliniques dans le bruit.
Je terminerai par un test dans le bruit qui semble intéressant, distribué par l’université d’Oldenburg, le “Framatrix” ou “French Matrix Test” permettant de réaliser des tests dans le bruit de façon scientifiquement robuste. Si quelqu’un a un retour sur ce test, je pense que cela pourrait vivement intéresser la communauté.. et moi en premier, avant d’investir 😉 .
Un (TRES) grand merci à deux activateurs de mes neurones : Franck LECLERE (Audioprothésiste D.E.) et François-Xavier NSABIMANA (chercheur à l’institut Fraunhofer).
Un commentaire sur “Faire du bruit pendant le test ou un test dans le bruit ? That is the question…”