Vous reprendrez bien quelques canaux ?

Une étude très intéressante (Hearing Aid Compression: Effects of Speed, Ratio and Channel Bandwidth on Perceived Sound Quality. Ole Hau, MSC EE, & Hanne Pernille Andersen, Ph.D., Department of Audiological Research, Widex) vient d’être publiée en ligne sur le site Audiology Online, concernant le rapport existant entre différents facteurs croisés comme  » nombre de canaux « ,  » vitesse des compressions  » et  » taux de compression  » utilisés dans le réglage d’une aide auditive.

Il est toujours délicat pour un audioprothésiste d’avoir des « preuves » qu’une aide auditive, parce qu’elle possède telle ou telle caractéristique, est meilleure qu’une autre.

L’approche prothétique fondée sur la preuve (evidence based), est de plus en plus employée par les audiologistes, on va dire, outre-atlantique. Le public appareillé, mieux informé, autant sinon mieux formé que nous à une certaine culture scientifique, finira bien par dire « Vous me dites que cela est mieux pour moi, expliquez-moi pourquoi ! ». Une connaissance de la littérature spécialisée, divers tests mis à disposition des professionnels (MIV, TEN-Test, HINT, etc.), doivent nous permettre de pouvoir d’argumenter en faveur de tel ou tel traitement du signal (au niveau audio, bien sûr).

Par exemple, une aide auditive à 15 canaux est-elle meilleure que celle à 5 canaux ? Et pourquoi (physiologiquement ou acoustiquement)? Un réducteur de bruit est-il efficace (voir l’article de Jean-Baptiste DELANDE et Alexandre GAULT, AudioInfos n°170, avril 2012) ? Une compression rapide est-elle meilleure qu’une lente ?

Et enfin : que veut dire « meilleur » ? Plus confortable ou plus efficace ? Les deux sont-ils conciliables ?

Revenons à cette étude qui a donc testé la qualité sonore ressentie (et pas la performance), sur des sujets normaux-entendants, d’une aide auditive dont on a pu faire varier le nombre de canaux de 3 à 15 (traitements 5/3, 3/3 et 1/3 d’octave), les temps d’attaque/retour (de 10/105 jusqu’à 700/7000ms) et le taux de compression (de 1 à 3). Seul un fabricant a la possibilité technique de mener de telles études (faire varier les caractéristiques intrinsèques d’une aide auditive).

Il a donc été demandé à 10 auditeurs de juger de la qualité de 111 sons présentés à 62dB SPL dans des niveaux de bruit variant -5 à -25dB par rapport au signal (S/B +5 à +25dB). Ces enregistrements ont été administrés par un casque après passage dans l’aide auditive et traitement testé.

Que dit en gros la littérature sur le sujet:

  • Vitesse de traitement des compressions et taux de compression : des résultats très contrastés sont retrouvés dans la littérature. Une compression rapide est souvent jugée plus efficace en intelligibilité alors qu’elle est en même temps jugée plus fatigante. La parole étant par exemple très rapidement amplifiée dans les « vallées du bruit » est alors perçue (intelligibilité), mais à l’inverse, un bruit fluctuant est également rapidement amplifié lors des interruptions de la parole (fatigue).
  • Egalement, les auteurs rapportent un effet délétère d’une compression trop rapide sur un nombre de canaux important : le lissage des contrastes spectraux, c’est à dire que les écarts entre pics et vallées ont tendance à être réduits, ramenant du même coup la parole vers la dynamique du bruit (plus réduite).
  • Enfin, la qualité sonore perçue semble nettement se dégrader en combinant taux de compression élevé et compression rapide.

Ce qui ressort de l’étude:

  • Plus la compression est rapide, plus le taux de compression utilisé est grand, plus la sensation d’intensité augmente ainsi que la sensation d’un son désagréable (baisse de qualité sonore).
  • On ne retrouve pas ces désagréments avec une compression lente (à facteurs temps et canaux identiques).
  • Egalement, la diminution du S/B (augmentation du bruit), lors de l’utilisation d’une compression rapide, réduit la qualité sonore ressentie.
  • Enfin, l’utilisation d’un nombre important de canaux (15 canaux), lorsque des taux de compression élevés sont utilisés et que la compression est rapide, renforce la sensation d’un son désagréable ou fatiguant lors d’ambiances bruyantes.

On pourrait donc en penser qu’en toute chose l’excès est nuisible : compression à l’extrême, rapide, etc. Mais les logiciels de réglage n’ont pas non plus de garde-fous (et bien sûr il n’y a pas de fous à garder !)…

Et nous, pôvres zaudios, que devons-nous penser de tout cela ?

Que, tout d’abord, vouloir corriger des dynamiques pincées avec de forts taux de compression et/ou des compressions rapides semble une erreur sur le plan du confort et de la qualité sonore.

Que l’intelligibilité est améliorée (peut être) par des systèmes rapides, très rapides, capables de détecter des zones temporelles « utiles » au milieu du bruit, mais que ces mêmes systèmes peuvent être responsables d’une dégradation substantielle du confort.

Que la multiplication des bandes, en se rapprochant de la largeur des bandes critiques, se rapproche du mode de fonctionnement psycho-acoustique (~15 bandes~tiers d’octaves~bandes critiques):

MAIS: que la multiplication du nombre de canaux ne semble pas avoir d’impact sur la qualité des sons perçus (je n’ai pas dit « intelligibilité »…). Plus de canaux = meilleur son –> Non prouvé !

Que l’utilisation d’un taux de compression supérieur à 2 demande une grande prudence (qualité sonore et intelligibilité en baisse).

Que les systèmes variables de TA/TR en fonction des situations sonores semblent justifiés, car ils peuvent ménager à la fois confort et intelligibilité.

Qu’il faudrait des systèmes de largeur de canaux s’ajustant aux ambiances sonores en fonction du style de vie et/ou du S/B mesuré (certains fabricants ont tenté cette analyse sans canaux).

Que les programmes « Musique » ont toute leur place sur des AA modernes et très interventionnistes.

Finalement, on en revient toujours aux fondamentaux. Une sorte « d’écologie prothétique » consistant à ne tout simplement jamais pousser des réglages à leurs maxima, alors que tout nous est permis. Pour l’instant…

6 commentaires sur “Vous reprendrez bien quelques canaux ?

  1. Oui, euh enfin…quoique…

    Il est effectivement de bon sens de dire que tout excès est mauvais, c’est comme manger trop de cuillères de cette satanée mais néanmoins tellement bonne pâte à tartiner au chocolat avec ce petit goût de noisette qui la distingue tant de ses concurrentes, ce n’est pas très bon pour la santé… Bref…

    Mais cette étude a été faite sur des sujets normo-entendants.

    Je suis convaincu que si la même étude est réalisée sur des sujets mal entendants les résultats diffèrerons et ils diffèrerons même suivant les pathologies des sujets…

    M’Enfin je peux me tromper de croire que les sensations d’un mal entendant appareillé seront quoi qu’il arrive toujours différentes de celles d’un normo entendant…

    Me trompe-je ?

  2. Qui peut le plus, peut le moins…

    Là où cette étude est intéressante, c’est sur l’ampleur du panel et sur les facteurs étudiés (et variables) à l’intérieur du même panel. Tester sur la même personne un appareil à x, y ou z canaux, une compression lente ou rapide, etc. n’est quasiment pas possible sans changer de marque et de modèles. Tester sur des malentendants portant tous un modèle spécifique revenait à tester, soit la performance du malentendant lui-même, soit un modèle spécifique, en minimisant encore plus l’échantillon, en faisant intervenir son degré de surdité, bref, en rajoutant des biais un peu partout. Ici, seul le trt du signal a finalement pu être isolé.

    1. Cette étude confirme ce que j’ai toujours pensé : plus on tire fers l’efficacité plus on sort de la zone de confort ! Cet adage se retrouve sur des tests d’intelligibilité dans le calme ou dans le bruit que j’avais effectué ! De plus, la notion de confort est toute relative, le même réglage à J0 (jour de la pose de l’appareil) et à j45 est ressenti totalement différemment !

  3. Bonjour à tous et merci à Xavier de nous tenir toujours au courant des dernières actualités.

    On touche ici le coeur du problème ou l’éternelle question de l’audioprothésiste.

    J’avais la même réflexion que Stansolo : quel est l’intérêt de tester un tas d’algorithmes chez des bien-entendants (vocable belge que j’affectionne) ?? Quand les patients me demandent à écouter (ou on écouté et font des commentaires) je leur réponds toujours pourquoi pas mais c’est comme si vous testiez les verres correcteurs de votre voisin.
    Alors le double foyer est-il plus confortable que le progressif chez les normo-voyants ??

    Ma deuxième réflexion est proche de celle exprimée par Xavier : oui, nous avons besoin de tester, comparer, pouvoir expliquer et justifier les différences de traitement entre les divers modèles que nous adaptons.
    En renouvellement par exemple, on a tous déjà constaté des réactions et résultats étranges, nécessitant une approche différente.

    J’ai un vague souvenir d’une étude qui ne concluait pas à la supériorité de la prothèse numérique dernier-cri sur l’appareil analogique bien plus ancien. Mais il s’agissait de patients porteurs d’appareils et le critère de comparaison était la compréhension je crois et non le confort ou la « qualité du son ».

    Il y a donc plusieurs niveaux d’analyse :
    – pouvoir dire que tel traitement est statistiquement meilleur qu’un autre dans une cohorte de bien entendants ou de malentendants (déja habitués ou non)
    – pouvoir choisir pour un patient donné, face à soi, le jour J de l’appareillage le meilleur algorithme en fonction de ses attentes et de son mode de vie. (répondre honnêtement à la question « est-ce que ça vaut le coût -avec un t-, de payer plus cher, pour passer à la gamme supérieure M’sieur ?)

  4. Très intéressant ! Au passage de C. Lorenzi révèle que l’intelligibilité dans le bruit est permise grâce à l’écoute dans les « vallées du bruit » ! Les compressions rapides doivent donc effectivement améliorer la compréhension en milieu complexe.

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