Dé-crêter* est-il toujours bien ?

* Vous le savez maintenant, les jeux de mots débiles à la Achille Talon sont ma spécialité… (sinon vous ne lisez pas !)

J’avais évoqué il y a quelques temps la mort de l’écrêtage avec la mort de l’amplification analogique. Pour cause, toute amplification numérique ayant un délai de traitement du signal, même minime, les sons impulsionnels mettaient un certain temps à être pris en compte par le système (alors qu’un écrêtage de « old school » analogique est instantané). Certains patients sont sensibles à cela (« les couverts et les assiettes » !), et lorsque le circuit présente ce genre d’imperfection, l’enclenchement plus bas des compressions, la diminution du MPO ou l’augmentation des CR n’y changeront pas grand chose…

La parade a donc consisté à concevoir des systèmes de « gestion des bruits impulsionnels en entrée », à savoir, ne pas faire entrer dans le système certains bruits. A ce jour, beaucoup de fabricants proposent ce type de système ou cette fonction « réduction des bruits impulsionnels ».

Un exemple très frappant dernièrement a été donné par le Chronos de BERNAFON. Ce système, à l’écoute, est tout bonnement stupéfiant: les bruits d’impact et notamment l’over-shoot (pic lié au temps d’enclenchement du système) sont réellement réduits.

L’efficacité de ce système peut être mesurée par les chaînes de mesure.

Je me suis demandé si cette fonction était:

  1. efficace (tout simplement)
  2. non-destructrice (on verra ça ensuite)

Trois modèles ont été programmés « logiciel » sur une audiométrie à dynamique « pincée » (40dB max.). Il s’agit:

  1. du BERNAFON Chronos 7 CP
  2. du PHONAK Ambra micro P
  3. du WIDEX Clear 3 Fusion (éc. M)

Ces trois modèles sont censés réduire les bruits impulsionnels et cette fonction a été testée sur « off », « moyen » et « max ». La séquence de test consiste en l’émission d’un son à 40dB SPL avec une montée brutale à 100dB SPL, puis relâchement:

 

 

Principe du test

Le graphe ci-dessus illustre le principe du test et une mesure (avec un très vilain AA dont je tairai la marque).

Le but du test est de vérifier si l’over-shoot (le pic à la montée en intensité du signal) est diminué, et quelles sont les conséquences éventuelles (dommages collatéraux) de ce traitement.

Pour BERNAFON:

 


Déjà, le pic (over-shoot) est important lorsque le système est désenclenché (courbe fine du haut). L’activation « moyenne » (proposée par défaut, courbe grasse) le réduit très efficacement de quasiment 20dB mais laisse apparaître un tout petit temps de latence du système pour revenir au gain optimal après enclenchement. L’activation « maxi » ne réduit pas plus l’over-shoot, mais en plus, retarde la remonté en gain sur quasiment 150ms. A déconseiller en « maxi » semble t-il, et déjà très efficace en « moyen », donc.

Pour PHONAK:

 


L’over-shoot est très présent en « off »: le système est vraiment nécessaire. De fait, il s’avère très efficace en « moyen » (courbe grasse) en réduisant de plus de 20dB le pic, pas nettement mieux en « max », mais sans temps de latence de retour.

Pour WIDEX:

 


Là, on a un cas d’école, puisque d’emblée (système en « off »), l’appareil ne présente pas d’over-shoot, donc théoriquement pas besoin de ce traitement de signal. De fait, l’enclenchement du système ne fait pas varier le pic, puisqu’il n’y en a pas. On introduit juste une latence de retour là où il n’y en avait pas. La technique de réduction de bruits impulsionnels en entrée (ne pas les faire entrer dans le système) semble déjà bien marcher.

 

Donc ces systèmes fonctionnent bien (ouf !), voire n’ont pas lieu d’être (la classe !).

Mais attention aux limites: ces systèmes sont très performants. A utiliser en toute connaissance de cause, voire, à brider par les fabricants (les enclenchements « max » semblent n’apporter rien de mieux sur les modèles testés). Le « super -écrêtage », semble, dans certains cas, introduire une latence de retour à l’équilibre, avec des conséquences potentielles sur l’intelligibilité.

Priver le malentendant des informations « extrêmes » de la parole n’est pas sans conséquences sur la perception de la parole: une voix considérée comme « moyenne » véhicule des informations utiles dont l’intensité varie dans une gamme très large de niveaux sonores. Une fois amplifiés, les pics (pour parler d’eux) seront souvent les seules informations vraiment accessibles à un malentendant, et plus encore en situation bruitée.

Imaginons un malentendant dans un restaurant: des voix et des fourchettes dans les assiettes… Les fabricants nous promettent de différencier les bruits d’impacts de la parole. On espère pour les plosives !

Pour tenter d’apporter une réponse à la question première « faut-il écrêter ? », je pense qu’il faut rester prudent avec ces systèmes, qui sont, faut-il le rappeler, ici pour palier aux imperfections des circuits. En cherchant à tout prix à « lisser » le signal, on risque en supprimer les contrastes avec des systèmes poussés à leurs maxima.

Les crêtes d’un signal vocal sont d’ailleurs considérées comme les informations les plus utiles, y compris chez le normo-entendant, voir cet article de Drullman.

13 commentaires sur “Dé-crêter* est-il toujours bien ?

  1. MERCI Xavier pour ce beau billet qui montre que l’audioprothésiste peut (encore) tester, comparer et comprendre des appareils.
    Qu’il peut de ce fait aussi choisir un appareil et conseiller ses patients en fonction de leur audiogramme, leur mode de vie, des possibilités et caractéristiques de différents appareils etc..

    Je pourrais commenter longuement sur ce thème mais ce qui m’amène est d’ordre plus technique.
    Je suis en effet très étonné de comparer les trois graphiques entre eux. Les deux premiers se ressemblent mais le Widex sort complètement du lot. Il y a certes de nettes différences sur les temps d’action qui semblent plus rapide (enclenchement à 50 ms contre 58 chez les concurrents mais ca peut etre une imprécision de manip’) ou sur la régularité de la courbe mais il y a surtout une énorme différence de gain !
    Donc j’aimerais que tu précises cela. As-tu bien réglé l’appareil pour la même perte auditive (en préréglage fabricant) et as-tu bien utilisé le même signal d’entrée ?

    D’après la lecture des courbes :
    gain à 40dB d’entrée de 15,18 et 35 dB pour respectivement Bernafon, Phonak et Widex
    gain à 100 dB d’entrée de -20, -30 et +12 à 18 pour les mêmes.
    Je sais qu’on ne regarde que le 2000Hz mais quand même ça parait incroyable de tels écarts.

    Merci de nous éclairer sur les conditions de l’expérience

    Le son est-il un son pur à 2000 Hz ?
    La différence de sortie est-elle due au coupleur (HA1 / HA2) en raison de l’utilisation de BTE ou RITE ? Si tel est le cas, quelle est la vrai valeur de sortie et donc le vrai gain ?

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    Ensuite dans la partie « repos » on a des niveaux de 50, 60 et 75 dB, là aussi c’est étonnant car on est à peine sous les niveaux obtenu à 40 dB d’entrée. J’en déduis que le bruit de fond de la chaine est de l’ordre des 40 dB SPL utilisé dans la première partie du test.

    ————–

    Dernier point, le phonak semble relativement efficace pour contrôler l’overshoot mais vers 210 ms lors de la fin du signal on a une jolie crête inexistante dans le signal de départ. Et quel que soit le niveau d’enclenchement de l’algorithme. C’est bien d’atténuer une crête lors d’un bruit de fourchette mais si on en crée après je vois pas bien l’intérêt…

  2. Concernant les différences entre fabricants pour un même audiogramme:
    – Tu fais de la mesure in-vivo, j’en fais aussi: on sait tout les deux pourquoi… Effectivement, je ne m’étendrai pas trop sur le sujet des différences de pré-réglages sur un même audiogramme entre fabricants. Mr DEJON qui pense que « régler les appareils est un jeu d’enfant » est invité pour un stage en cabine…
    – Le BERNAFON et le WIDEX ont été strictement réglés sur le même seuil (base inserts) et inconfort. La différence résiderait sur le fait que Widex se base sur PASCOE pour l’inconfort.
    Le PHONAK est réglé sur une base diférente.
    – MAIS, et c’est pourquoi j’ai enlevé toute référence audiométrique: les bruits impulsionnels sont une chose, l’overshoot (désolé, je n’ai que ça, plus ce document page 18, il va falloir que je remette la main sur mes cours d’électronique analogique !) est un phénomène électronique différent. Je ne voulais pas qu’il puisse y avoir d’assimilation entre l’inconfort ou le seuil saisis et ce phénomène d’overshoot, gênant pour le patient, et encore plus gênant avec des bruits impulsionnels. Sous l’agréable dénomination « réducteur de bruits impulsionnels » se cache un peu « je vais faire en sorte d’introduire un système qui va essayer de compenser ce vilain phénomène électronique qui est mis en exergue lors des bruits impulsionnels » (en clair…). Mais de tout temps ce phénomène est présent, plus ou moins quand même. Ce système anti bruits impulsionnels est loin d’être une nouveauté dans l’audio: PHILIPS (déjà eux !) l’avait introduit dans leur gamme « Space Line », à savoir les D61 et D71 en 1999 !
    – Le test consiste en un son pur de fréquence paramétrable (ici 2KHz) à 40dB SPL et montée brusque à 100dB. Evidemment, on teste à la fois ce fameux système (première millisecondes de montée) puis la compression (TA/TR) dans un second temps. L’action du RB impulsionnels se voit effectivement dans la gestion de l’overshoot.
    – Ce fameux phénomène (l’overshoot) se caractérise à l’attaque (il est pris en compte) mais aussi au désenclenchement (là, non…). Son petit frère est l’under-shoot au retour du système.
    – Mesure HA2 pour tous les modèles (écouteur du C3-FS dans le tube)
    – Pour WIDEX, j’avais remarqué ça aussi (pas ou peu d’overshoot) sur les MIND déjà. Ils ont dû trouver le secret de la potion magique ! Mais par curiosité, fait une mesure similaire avec un Senso (je sais que tu en as un, je l’ai vu sur YouTube en train de buller dans du 7Up 😉 ), c’était déjà nickel…
    – Je sens que nous allons faire naître des projets de mémoire 😉

    1. Merci pour les précisions et explications.

      Pour l’Over-shoot et l’Undershoot la démonstration est flagrante. Et on peut accessoirement conclure que Widex s’en sort un peu mieux que les deux autres sur ce test.

      Le pic secondaire du Phonak n’est pas résolu… de quoi s’agit-il ?

      Le niveau de gain est très étonnant aussi mais en effet faisant de la mesure in vivo je suis habitué à ne pas me fier aux valeurs préréglées par les fabricants et il arrive parfois sur un widex de devoir baisser énormément les gains (à en être dans le négatif sur le logiciel). Pour Bernafon et Phonak je n’ai pas assez d’expérience sauf que là ca parait vraiment bas et il faudrait aller voir dans le CAE avec un embout ce qui se passe. (je sais c’est hors sujet le billet ne parle que de l’overshoot).

      Enfin pour la gamme spaceline de 1999, j’ai encore en mémoire la plaquette qui détaillait ce mécanisme et la compression curvilinéaire ainsi qu’une photo avec une salle d’attente ornée d’une collection d’aides auditives (pas la mienne).

      Quelqu’un a une idée pour le pic secondaire du Phonak ?

  3. C’est drôle, le graphique obtenu avec l’appareil Phonak, puce Spice, me parle beaucoup.

    Je trouve que les appareils à puce Spice sont des appareils qui, à l’écoute, présentent un écho important (bien plus que ceux de la génération précédente, les CORE), et je n’ai pas trouvé une seule méthode de réglage permettant d’y remédier (TK modifiés, MPO modifié, compression, gain général, algorithmes de traitement du signal, etc…).

    Est-il envisageable de faire la même mesure avec un CORE, Xavier ?

  4. Core, c’est Naïda, Versata et autres je crois ?
    Et tu penses que « l’écho » vient de ce phénomène ou plutôt du délai de trt de l’appareil (+/- 7ms chez Phonak, contre par exemple 2ms chez d’autres) ?

    1. Je n’en pour le moment rien, mais ce que tu nous montres avec le Naida (sur lequel je n’ai pas constaté d’écho aussi prononcé, comme pour tous les CORE) laisse penser que ça vient bien de cet overshoot inutile, en fin de signal à traiter.

      C’est un écho que j’entends uniquement lorsque la voix s’atténue (fin d’élocution), ou lorsque le bruit disparait. En plein débit de voix, ou lorsque le bruit est continu, je ne perçois pas ce phénomène.

      Et qu’on ne vienne pas me dire que cela vient de l’ouverture de l’adaptation, j’écoute au stéthoscope directement connecté au coude !

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