Le captation microphonique à effet binaural: bientôt sur les aides auditives ?

Je viens de découvrir (on apprend tous les jours !) des enregistrements réalisés avec microphone binaural. J’ai écouté ces fichiers sons sans d’abord trop m’attarder sur le côté technique de la chose, presque de façon dubitative, mais j’ai été « bluffé » par la restitution sonore, et j’ai décidé de gratter un peu la chose…

Tout d’abord il faut savoir que le but premier d’une telle technique d’enregistrement n’est pas d’en améliorer la qualité pure, mais plutôt la restitution; de rendre la perception sonore « naturelle », dans le sens physiologique ou morphologique du terme. Ouh là ! le Xavier a fumé…

Je m’explique: l’écoute musicale stéréophonique sur support numérique ou analogique est le fruit d’un enregistrement par microphones légèrement décalés en phase, ou plus subtil, légèrement décalés en intensité, ceci afin de simuler l’existence d’un « espace sonore » dans le premier cas et dans le second, de simuler une différence inter-aurale de niveau avec le même effet recherché. On s’est satisfait de cette écoute pendant longtemps (et encore pour longtemps !), mais l’écoute stéréophonique n’est pas l’écoute binaurale, cette dernière étant la seule naturelle.

L’écoute binaurale, amie proche de l’audioprothésiste, est beaucoup plus complexe dans le sens où elle intègre (entre autres) des facteurs morphologiques et donc acoustiques (longueur et forme des conduits auditifs et du pavillon, incidence du son sur la tête et le torse, …), des facteurs temporels (un son arrivant à une oreille avant l’autre), d’intensité (la tête fait « écran » à l’oreille opposée à une source sonore), et j’en passe…

On le voit donc, le passage de la stéréophonie à la binauralité, en reproduction sonore, est un saut très qualitatif, rapprochant l’auditeur d’une situation d’écoute « live », comme si sa tête avait servi de microphone.

D’ailleurs, l’enregistrement binaural n’est pas une affaire qui semble simple: deux micros (spécifiques) doivent se placer sur une tête, humaine (!!!) ou artificielle type KEMAR, le plus proche possible des conques, voire dans les conques:

Mister KEMAR fait un enregistrement binaural

Ces micros sont omnidirectionnels (la tête produisant son ombre d’atténuation), doivent être écartés strictement, le tout placé judicieusement dans l’espace sonore à enregistrer, et certainement d’autres choses plus pointues que pourrait mieux décrire que moi un ingénieur du son (Y a t-il un ingénieur du son dans la salle ?).

Pour tout ceci, je vous recommande la lecture de l’excellent article de Wikipédia (une fois n’est pas coutume) sur le sujet.

Et parce qu’un exemple vaut souvent mieux qu’un long discours, vous trouverez ci-après différents exemples d’enregistrements binauraux. Mais avant tout, veuillez noter que l’écoute de ce genre de fichiers n’est pas franchement convaincante sur de médiocres HP d’ordinateur, et même sur des HP tout court ! Vous aurez vraiment l’impression « d’y être » avec un casque ou de bons écouteurs intra-auriculaires, donc à vos branchements, l’écoute d’un enregistrement binaural est un truc d’égoïste ! Autre point aussi, la plupart des fichiers suivants sont « lossless » (sans perte de données à la compression), à savoir Flac, WavPack, ou au pire Ogg (pour Wikipédia) qui est « lossy » mais meilleur qu’un mp3 (je milite !).

Voici donc:

Par curiosité, regardez la forme d’onde de chaque piste sur un logiciel type Audacity : elles sont souvent très différentes l’une de l’autre, alors que pour un enregistrement stéréo elles présentent moins d’écart entre elles.

Et tout ceci, me direz-vous, pour quoi faire ?

Fermer les conduits auditifs, même partiellement, utiliser des aides auditives présentant un décalage temporel (temps de traitement du signal), ne pas restituer exactement d’équilibre (au moins en intensité) inter-aural, etc… tout ceci pourrait expliquer certaines difficultés rencontrées lors d’appareillages: un patient, même malentendant, conserve peut-être toute ou  une partie de son audition binaurale, et la perd(rait) avec l’interposition d’un système « correcteur »…

Imaginez deux aides auditives (ça, c’est OK), imaginez qu’elle communiquent entre elles (ça existe déjà), elles ont des microphones omnidirectionnels (basique), les caractéristiques acoustiques individuelles (gain étymotique) du patient sont mesurées (ça existe, reste à l’adapter à l’oreille nue), une rapide calibration aides auditives en place mesure atténuation inter-aurale et décalage temporel inter-aural (faisable), les aides auditives s’échangent en temps réel les informations sur les signaux incidents et au besoin recréent une directivité naturelle (il va falloir que les processeurs se musclent !!). Bref, voilà des patients qui récupèreraient non seulement l’audition mais aussi une binauralité (et pas une stéréophonie) les rapprochant d’une perception naturelle.

Donc finalement, l’appareillage des surdités légères en conservant le conduit totalement ouvert ne dégrade pas (trop) l’écoute binaurale, mais ce n’est pas le cas lorsque le seuil diminue, que les conduits sont fermés, etc… voilà qui, une fois de plus, milite pour une prise en charge précoce de la déficience auditive !

Cette technique de compensation binaurale dans les aides auditives dans 5 à 10 ans ? ou avant, qui sait…

Je rajoute un lien très intéressant sur les conseils de Brice Jantzem, le site de l’IRCAM proposant une 50aine de modélisations « tête/cou/torse », à vous de trouver celle qui correspond à la votre, lorsque le son sera au centre ! (allez m’sieurs dames, faites entrer la bille dans le trou !).

4 commentaires sur “Le captation microphonique à effet binaural: bientôt sur les aides auditives ?

  1. Bonjour,
    Félicitations pour vos nombreux articles, beaucoup de choses intéressantes sur ce forum !

    Pour cet article sur la binauralité, on note en effet que deux aides auditives fonctionnant de manière indépendante, appliquent par définition des facteurs de compression bien différents (et ce, même avec des réglages identiques), puisque fonction du niveau d’entrée sur chaque aide (même sur la technologie communicante Siemens ou Phonak) perdant ainsi théoriquement la différence interaurale d’intensité nécessaire au cerveau (sur une certaine bande de fréquence) pour localiser les sons. L’oreille cachée ayant tendance à appliquer davantage de gain (le son étant plus faible), il peut se produire le phénomène inverse. Le cerveau reçoit donc côté « caché » une information « en retard »(du fait de la distance interaurale) mais potentiellement plus forte.

    Cependant sur la génération XW d’oticon (Epoq et Dual), les aides communiquent aussi sur ce sujet et préservent donc (théoriquement) cette différence d’intensité. Le déphasage dans le temps nécessaire est normalement respecté dès lors que les aides utilisées sont identiques (même si l’aide a un retard de traitement il faut simplement que l’autre ait le même pour qu’ils s’annulent en adaptation occluse).

    Paradoxalement, il me semble que cette technologie aurait été abandonnée au profit de celle mettant en avant l’oreille obtenant le meilleur rapport S/B… J’imaginais pourtant que la binauralité expliquait les excellents résultats des XW en milieu bruyant … ?

    Ps: Ces deux technologies seraient je crois implantées sur la dernière génération Widex, même si l’utilisation de l’une fait théoriquement perdre les capacités de l’autre (?)

    Jc

  2. Merci pour ces précisions, je ne connaissais pas bien pas les Epoq.
    Effectivement, WIdex semble prendre une direction un peu similaire, mais en fait, je pense que l’on va quitter progressivement l’époque de la stéréophonie pour essayer de restituer la binauralité. Ce n’est plus qu’une question de circuits.
    En tout cas en musique, je ne dis pas qu’un concert entier me conviendrait, mais c’est très agréable, surprenant !

  3. Bonjour Xavier,

    j’apprécie toujours tes billets, très fouillés. Je te remercie pour ce travail régulier.

    Sur la binauralité tu passes cependant à coté d’une donnée essentielle dans ton article : les parametres morphologiques du buste, de la tete, des pavillons etc.. portent un nom : HRTF. (Head related Transfer Function)
    Or ces HRTF sont responsables du rendu binaural et l’expérience que tu as faite en écoutant au casque les enregistrements dont tu parles peut ne pas se reproduire pour un autre auditeur. En fait il faut que tes HRTF correspondent aux HRTF de l’enregistrement !! Pour s’en convaincre, il suffit d’aller un peu chercher du coté du site internet de l’IRCAM. Si mes souvenirs sont bons, on y trouve des modelisations d’HRTF (50 je crois) d’un son tournant autour de la tête. Ce qui est bluffant c’est qu’au casque on n’entend jamais « autour » mais « dans » la tête or là tu peux vraiment entendre autour… à condition de trouver l’enregistrement qui correspond à ta tête… je sais on va dire que j’ai la grosse tête, elle est facile !

    Il y a tout un groupe de passionnés (autour de Pascal Rueff, ingénieur du son) qui ont étudié le sujet à Brest depuis quelques années et ce n’est pas si évident en terme d’enregistrement et de reproduction.

    En revanche je pense que c’est tout à fait applicable au domaine de l’audioprothèse puisque les HRTF des malentendants ne sont pas modifiées par le port des appareils (sauf le CAE qui n’a pas un rôle important en dehors du gain constant qu’il apporte sur les aigus = coloration compensée de la meme façon des deux cotés par des embouts identiques).
    En fait le probleme en audioprothèse c’est de coordoner les traitements du signal, s’il n’y avait que la compression il faudrait que les deux compressions soient identiques (simultanées) et le tour serait joué mais il y a tout le reste…

    et comment savoir ce que font réellement les appareils ?

  4. Merci Brice pour tes éclaircissements.
    Je pense que tu as raison au sujet de mon « expérience » sur un enregistrement: sur le site Bowers et Wilkins, un second album d’enregistrements binauraux a été mis en ligne et… rien ! C’est à dire que je n’ai pas retrouvé du tout mes sensations originales.
    Dois-je en déduire que la tête+torse ayant servi à cet enregistrement était trop différente de ma tête d’auditeur ? Ca semble rejoindre ce que tu disais.
    Merci aussi pour ton lien IRCAM, que je rajoute dans l’article.
    AN: la HRTF est en fait une mesure MAP(minimal audible pressure) – MAF (minimum audible field) = gain naturel de l’oreille, on voit bien ici le rapport étroit avec notre profession, et le HRIR plus spécifiquement l’effet torse cou et tête.

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