5 millions de consommateurs, âge du capitaine et autres facteurs aggravants

Des publicités de plus en plus nombreuses et agressives (pardon : prometteuses) fleurissent au sujet de l’appareillage auditif, transformant les candidats potentiels à l’appareillage (environ 5 millions parait-il), en purs consommateurs (c’est le but) que seul l’achat de l’objet magique (l’aide auditive) rendraient à nouveau normaux-entendants.

La publicité est pourtant interdite en audioprothèse (si ! si !), mais il y a d’autres sujets plus urgents à régler, c’est certain. Toujours est-il que pendant ce temps, on voit à la TV, on lit dans la presse et sur internet et on entend à la radio ces promesses de discrétion, de prix et de performances. Le but (atteint) : faire passer les malentendants concernés du statut de patients en acheteurs d’objets technologiques comme les autres. Bref, rendre glamour l’aide auditive.

Mais si on parle adéquation de la forme aux possibilités physiques et anatomiques, suivi à court et long terme, limites physiologiques, audition résiduelle, je le sais, ce n’est pas du tout glamour.

Un fabricant promet maintenant aux futurs candidats à l’appareillage « un son qui vous rapproche de vos 20 ans » ! ! Possible ?

Il semblait donc intéressant de confronter les promesses (publicitaires), les attentes (des malentendants) et la réalité des performances obtenues dans le bruit après appareillage :

  • Si une aide auditive est capable, par exemple, de 8dB d’amélioration du rapport signal/bruit (RSB), les performances dans le bruit du malentendant appareillé vont-elles s’améliorer mécaniquement de 8dB ?
  • Et si « non », quelle est la part « consommée » ou perdue ?
  • Au contraire, peut-on « sur-performer » avec des aides auditives, c’est à dire faire mieux que ce que l’appareil apporte ?
  • Enfin, quels sont les critères les plus forts qui interviennent dans la perte de performance dans le bruit ? La perte auditive ? L’âge du premier appareillage ? Else ?
  • Peut-on retrouver son audition de 20 ans avec des aides auditive ? Et qu’est-ce que « l’audition de 20 ans » déjà ?

Ach ! Suzpensz inzoutenaple !

Je voulais donc tout d’abord remercier Pauline BARON, audioprothésiste D.E. maintenant, qui a exploré pour son mémoire de fin d’études ces aspects que je souhaitais étudier depuis des années, ainsi que Christophe LESIMPLE (Bernafon AG) pour ses idées, ses partages et son aide précieuse.

Mesures objectives

Dans une situation totalement contrôlée (distance des sources, orientation spatiale, types de bruit et de signal), on va apporter à des malentendants appareillés une performance technologique connue à l’avance avec des aides auditives (Widex Evoke 440 F2) dont tous les algorithmes de traitement du signal sont activés, puis dans un second temps, désactivés. On obtient d’un point de vue purement objectif (rien que les aides auditives, sans le patient) :

Deux sources de bruit sont émises à l’arrière à 135 et 225° et le signal est émis de face. Signal et bruit sont corrélés en densité spectrale. L’appareil utilisé pour ces tests améliore d’environ 7,5dB le RSB de sortie lorsque l’on active ses algorithmes de traitement du signal, quels que soient les RSB d’entrée.

Mesures subjectives

Avec ces deux programmes (« off » et « auto »), des malentendants ont été appareillés (avec bien sûr une correction en fréquence adaptée à leur perte auditive), mais toujours de façon occlusive de manière à ce qu’aucun bruit ne rentre directement dans les conduits auditifs, seuls les appareils devant traiter les sons extérieurs.

Pour chaque programme « off » et « auto », et après une liste d’entraînement préalable, les sujets devaient passer un Framatrix. Le RSB50 (RSB donnant 50% d’intelligibilité) pour chaque condition a été mesuré, l’ordre de passation « off » ou « auto » étant aléatoire.

Ce qu’il devrait se passer

On devait alors théoriquement pouvoir observer plusieurs résultats subjectifs :

  • Entre « off » et « auto », l’appareil améliore de 7,5dB le RSB de sortie, et le sujet améliore son RSB50 d’autant au Framatrix : il utilise la totalité de ce que peut lui apporter son appareillage = il n’y a pas de « perte de RSB »,
  • Son RSB50 au Framatrix s’améliore moins que la variation du RSB apportée par l’appareillage : il y a « consommation partielle » du RSB ou « perte de RSB », par exemple 4dB d’amélioration au Framatrix quand l’appareil aurait permis 7,5dB théoriquement,
  • Il utilise plus que ce que lui apporte l’appareillage : on constate alors une amélioration au Framatrix supérieure à 7,5dB, le sujet « sur-performe ». Impossible ?

Ce qui s’est réellement passé

Voici les résultats sur le groupe testé :

  • Huit sujets (sur 18) font moins bien que ce que pourrait apporter l’appareillage en théorie : il y a « perte de RSB »,
  • Six sujets font mieux que les 7,5dB d’amélioration potentielle attendue, on a donc un « gain de RSB »,
  • Les autres, finalement minoritaires, utilisent peu ou prou ce que l’appareillage apporte

Facteurs influençant ces résultats

On peut légitimement se poser la question d’une influence de la perte auditive sur ces résultats, mais le plus surprenant, c’est qu’il n’a été retrouvé de corrélation ni entre la perte, ni entre la pente de la perte auditive et l’utilisation du RSB apporté par l’appareillage !

La variable la mieux corrélée à cette « perte de RSB », c’est à dire la différence entre l’amélioration potentielle (théoriquement apportée par l’appareillage auditif) et l’amélioration réelle (mesurée au Framatrix), c’est l’âge :

Ce résultat, à audiométries plus ou moins homogènes du groupe étudié ci-dessus, rejoint de façon très similaire le résultat obtenu dans sa thèse de médecine par Marine DECAMBRON :

Cette thèse qui a été à l’origine de l’élaboration du VRB (Vocale Rapide dans le Bruit) avait testé une cohorte de sujets normo-entendants.

Mais on le voit : avec ou sans baisse d’audition, l’âge est un des facteurs les plus importants dans la diminution des performances dans le bruit. Un sujet qui vieillit perd en capacité s’il n’a pas de baisse d’audition, ou utilise de moins en moins ce que l’appareillage est censé lui apporter lorsqu’il est équipé.

Comment perdre un peu plus que l’âge ?

Selon les tests, on voit que l’effet de l’âge peut faire perdre de 2 à 5dB de RSB, ce qui est déjà important.

Mais un autre facteur influence au moins autant que l’âge les performances finales : l’appareillage ouvert !

Christophe LESIMPLE avait exploré d’une manière indirecte (ce n’était pas le but premier de son étude) la relation entre la perte de performance dans le bruit d’un appareil (par la perte d’efficacité de ses algorithmes) et l’occlusion du conduit auditif :

Plus le RSB d’entrée est dégradé (de 0 à -10dB), plus la diminution de performances est importante en embout ouvert : on constate 2 à 4dB de perte de RSB en sortie de l’appareil.

Résumons

La spirale infernale de l’appareillage tardif :

  • Un malentendant hésite à se faire appareiller (c’est cher, c’est mal remboursé, ça fait vieux, c’est pas beau, etc.)…
  • … il retarde son appareillage…
  • … et se fait finalement appareiller tardivement…
  • … se décidant enfin à franchir le pas, il a du mal à s’habituer, sa perte étant ancienne…
  • … donc il semblerait plus simple de minimiser l’occlusion afin qu’il s’habitue plus facilement…
  • … CQFD au final : âge + pas d’occlusion = mais que m’avait promis la pub ??

Age tardif d’appareillage + adaptation « ouverte » : l’effet cumulatif est potentiellement de 4 à xdB de perte de RSB, c’est à dire tout ce qu’est censé apporter un bon équipement aujourd’hui ! Dommage. Promesses trompeuses, promesses déçues.

Je pense vraiment que l’information aux personnes susceptibles d’être appareillées est très importante : plus l’action de sensibilisation sera menée tôt, meilleurs seront les résultats, l’âge semblant plus fort que beaucoup d’autres facteurs.

La question : est-il nécessaire que la publicité en audioprothèse soit le feu d’artifice que l’on connait aujourd’hui, au mépris de toutes les prudences (et de toutes les lois) ou vaudrait-il mieux qu’elle soit encadrée voire menée par des instances « supra-commerciales » (CNA, syndicats, ministères) ?

Faudrait-il très strictement encadrer les pratiques publicitaires au profit d’une communication institutionnelle, axée sur la prévention, les preuves et la sensibilisation ?

Un petit sujet de réflexion pour 2020 et le futur.

Bonne année 2020 à toutes et tous !

5 commentaires sur “5 millions de consommateurs, âge du capitaine et autres facteurs aggravants

  1. Merci, bel article.
    Je suis preneur de cas cliniques en appareillage occlus sur des pertes légères.
    Et d’ailleurs qu’est ce que vraiment un appareillage occlus? C’est seulement quand le REIG est perdu ou sinon avec combien de dB(f) d’occlusion ?

    1. Quand le REUG est perdu, effectivement.
      Les patients testés ici n’entraient cependant pas dans la surdité légère. Une recherche d’homogénéité des pertes auditives a été réellement recherchée, avec un but : pouvoir corriger avec un REAR de 200 à 4000Hz inclus (donc une perte à 4kHz au maximum de 60dB HL).

      Votre remarque soulève une question que je me pose depuis des années, avec des réponses rares et parcellaires : à partir de quelle perte auditive, la « coloration acoustique » apportée par le REUG cesse t-elle d’être importante ? Et est-ce vraiment le cas ?
      On sait très bien que la correction des pertes légères est compliquée pour cela. Corriger un pic de REUR à 3,2k alors qu’il est par exemple à 2,5k modifie cette identité acoustique. Est-ce la même chose avec la surdité moyenne ? sévère ?

      Sinon pour en finir, les conditions décrites ici sont effectivement très expérimentales afin de contrôler le maximum de facteurs, pour autant que possible ne tester que ceux qui nous intéressaient.

  2. Merci très bonne réflexion qui rejoint ce que beaucoup pensent
    La culture de l’effet de halo autour de la nouveauté et de la super (hyper) directivité montre clairement ses limites : on nous enfume

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