Sorry… we’re Open ! *

*Ca aurait pu s’appeler « Revue de presque », mais le nom était déjà utilisé par Canteloup ! « Presque », pour presque bien, presque fini, presque réglé, presque achevé, presque satisfait. La frontière entre « presque bien » et « bien » est ténue.

Revue de deux communications tirées :

  1. du International Journal of Audiology : Speech recognition in noise using bilateral open-fit hearing aids: The limited benefit of directional microphones and noise reduction. Vous pouvez le télécharger ici également.
  2. d’une présentation d’un mémoire de master que vous pouvez télécharger ici.

En voici un petit résumé :

Le premier article date de deux ans, mais je pense que sur le fond, l’état de fait est le même. Les auteurs se sont intéressés aux performances subjectives d’intelligibilité dans le bruit avec une aide auditive « performante », c’est à dire dotée d’un nombre de canaux suffisant et nécessaire, et d’un mode microphonique évolué, le tout couplé à un réducteur de bruit. Si avec tout ça…

Nous le ressentons bien aujourd’hui, les appareils récents sont tout à fait aptes à améliorer de 5, 6 ou 8dB le rapport signal/bruit. Mais ces mesures de séparation du signal dans le bruit sont des mesures objectives (mathématiques), difficilement transposables au malentendant. Car utilisera t-il intégralement les 8dB d’amélioration du RSB ? ou alors une partie de cette amélioration objective se perdra t-elle dans la diminution de ses capacités périphériques et centrales, ce qui est très probable à des degrés divers ?

Sur ce plan, nous n’y pourrons rien. Par contre, il est un facteur à ne pas négliger : le couplage acoustique aide auditive/oreille. C’est un fondamental de l’audioprothèse. Nous avons des responsabilités sur ce point, et c’est ce qu’ont cherché à tester les auteurs de cet article.

Ils ont pour cela mesuré l’intelligibilité dans le bruit, dans trois conditions (non-appareillé, appareillage open, appareillage avec micro-embout) et trois modalités d’appareillage (Omni, directionnel adaptatif et directionnel+réducteur de bruit). Les patients (qui avaient déjà porté un appareillage auditif) ont été testés en audiométrie vocale dans le bruit, avec un test de type HINT (phrases dans le bruit). Afin d’éviter les effets de « plateau » en audiométrie vocale, les audiologistes ont effectué une recherche de SRT (50% d’intelligibilité), méthode beaucoup plus robuste pour mesurer et comparer inter-sujets l’intelligibilité dans le bruit qu’une recherche de 100% :

srt

Pour résumer :

  • les auteurs révèlent une perte de directivité dans les basses fréquences, passant de 4,2dB en fermé, à 1,9dB avec évent de 2mm et -2dB en open
  • la baisse d’efficacité moyenne du micro directionnel est de 1,6dB en open
  • en open, le réducteur de bruit n’a quasiment aucun effet sur l’intelligibilité
  • en open, les modalités « micro directionnel » et « micro directionnel+réducteur de bruit » ne sont quasiment pas meilleures que sans appareillage (à peine 1dB de gagné en SRT…)
  • avec embout plus fermé, l’amélioration du SRT est de plus de 4dB en condition « micro directionnel » par rapport à « sans appareil »
  • et enfin, le réducteur de bruit (qui a été largement amélioré ces dernières années) n’est efficace qu’à la seule condition « embout + micro directionnel », soit 5dB de mieux en SRT que sans appareil, et 4dB de mieux qu’en appareillage open dans les mêmes modalités.

Tout cela fait réfléchir à la facilité apparente de l’appareillage open. Ce type de couplage ne devrait-il être qu’une étape dans le suivi patient, vers l’occlusion progressive (type « tulipe » par exemple), même en pertes légères/moyennes. L’anti-larsen efficace est-il un piège ? Je vous laisse juges…

La seconde publication peut sembler ne pas avoir de lien avec l’article cité précédemment, mais ce serait oublier que ce qui différencie un PSAP (pour Personal Sound Amplification Product outre-atlantique) ou « assistant d’écoute » in french, et une aide auditive, en dehors du fait que le premier est vendu sans aucun suivi ni réglage, c’est aussi l’algorithme de traitement du signal (j’y inclus aussi le micro directionnel adaptatif).

Donc comme on le sait, ces PSAP malgré leurs promesses alléchantes en terme de prix et d’efficacité (« comme les grands »), n’ont aucun réglage, aucun algorithme de traitement du signal, aucune adaptation en fonction de la perte auditive, etc, mais promettent tout de même de « filtrer automatiquement les bruits parasites pour un rendu haute-définition ». Mazette ! Moi-même après quelques années de pratique, je n’oserais pas en promettre autant à mes patients !

Et si c’était vrai ?

C’est ce qu’à cherché à déterminer l’audiologiste américaine Danielle Breitbart en comparant les préférences de patients utilisant alternativement un assistant d’écoute et une aide auditive « conventionnelle ». Pour info, voici les audiogrammes de ces gens, et vous remarquerez que l’on est parfois loin de la « surdité légère ». Je dirais même plus que l’on est à la limite de la « perte de chance » médicale :

Sans titre

Pour résumer :

  • un « PSAP » coûte aux US environ 350$ en moyenne contre 1250$ pour une aide auditive. Des prix somme toute communs sur la planète
  • les MIV faites avec tous les modèles d’appareils auditifs, y compris les plus basiques, sont correctes (corrigent de manière adéquate la perte)
  • les MIV faites avec les PSAP ne corrigent pas les aigus correctement, on s’en serait douté. C’est également normal : en corrigeant normalement les HF, ils enfreindraient la loi sur les niveaux maximums sonores admissibles…
  • l’amélioration de la conversation dans le calme est très inférieure avec les PSAP par comparaison à tous les modèles d’aides auditives conventionnelles testés
  • revers de la médaille : comme ils corrigent peu, les PSAP ne sont pas mal tolérés face aux bruits de la vie quotidienne par rapport aux AA
  • l’écoute de la musique ne montre pas de différences
  • En conclusion, les PSAP ou « assistants d’écoute » améliorent nettement moins l’intelligibilité qu’une aide auditive « conventionnelle », dans le calme. Encore fallait-il le prouver, même si cela pouvait paraître évident !

Donc en conclusion, la « frontière » existe bel et bien entre un assistant d’écoute et une aide auditive. Par contre, elle peut drastiquement se réduire dans le bruit en ne recherchant qu’une solution à court terme ou de confort, c’est à dire en open pur. L’essai d’un couplage auriculaire plus efficace à moyen terme semble très important. Cela s’appelle l’accompagnement (ou le suivi) du patient appareillé, et c’est finalement ce qui nous différencie de ces solutions « toutes prêtes à l’emploi ». Trop privilégier le confort du patient à court terme, ou pire, faire preuve d’une recherche de « facilité » dans l’adaptation prothétique, risque se payer cher (c’est le cas de le dire…).

8 commentaires sur “Sorry… we’re Open ! *

  1. Bravo Xavier,
    En un millier de mots tu as réussi à me rassurer sur mes adaptations réalisées, je dirais à plus de 90%, avec micro-embout concernant les écouteurs externes.
    Je commençais à douter tant je vois arriver d’appareillés porteurs de simples dômes, majoritairement Open et tant je vois de publicité fabricants mettant en avant l’écouteur externe muni, là aussi, d’un simple dôme.
    Content aussi maintenant, grâce à toi, de connaître la « frontière » entre l’assistant d’écoute et mon aide auditive.
    Merci donc.
    JYM

  2. Merci Jean-Yves,

    Cette situation (open fréquents) ne risque pas de s’améliorer, si on considère que les anti-larsen pourraient très bien dans quelques années arriver à des GSM de plus de 30dB…
    Pour ce qui concerne les assistants d’écoute, il est consternant de voir à quel point les audiométries sont si mal corrigées. C’est un peu au petit bonheur la chance : seule 1 personne sur 10 ou plus trouvera une correction à peine acceptable avec ce genre de chose. Pour le prix demandé (300€/oreille), c’est extrêmement cher, surtout quand on sait qu’il existe des solutions prothétiques « basiques » vers 900€, avec réglages, suivi, embout (!!), garantie et remboursements…

  3. Merci M.Delerce, pour cet article encore une fois extrêmement intéressant.
    Je suis en train de lire tout le blog et je me régale.
    Il est vrai qu’il est toujours plus facile de faire une adaptation ouverte car l’acceptation est quasi immédiate, en revanche je trouve qu’il est souvent difficile de mettre un embout avec évent inferieur ou égal à 2mm lorsque la perte d’audition ne démarre qu’à partir du 2000 Hz.
    Il serait interressant de savoir comment les réducteurs de bruit et micro dir gardent leur efficacité avec un dome tulipe?

  4. Il semble que les appareillages de la première étude soient réalisés à l’aide de la formule de préréglage du fabricant, sans mesure in vivo pour contrôler si les cibles prescrites sont bien atteintes au tympan, ni période d’adaptation et de réglage. Cela doit sûrement simplifier la méthodologie mais c’est un peu dommage d’introduire un biais comme celui-ci.

    Je pense qu’on pourrait s’attendre à des performances dans le bruit encore plus améliorées avec un appareillage plus minutieux (avec mesure in vivo et une vraie période d’adaptation et de réglage, contrairement à ce qui a été fait dans l’étude). Pourrait-on observer une supériorité encore plus significative du fermé sur l’ouvert dans ce cas là ?

    Ça donne des pistes intéressantes pour un mémoire ou d’autres études.

    1. Effectivement, je pense que c’était un parti pris de l’auteure de tester les AA sans pousser trop loin dans un réglage fin, au risque de se le voir reprocher (un autre biais : celui d’une adaptation de qualité 😉 )

  5. dans Que C du mois d’octobre comparaison hautement scientifique d’un Sonalto et d’un Phonak Boléro 90. Conclusion : meilleures notes à Phonak… ouf (?)

    Mais là aussi il y a un biais énorme : on compare des appareils mis en place chez un audioprothésiste avec des méthodes, un discours, un ajustement par un audioprothésiste. Même si l’éducation du patient n’est délivrée que pour l’appareil, comme il s’agit du même patient, il en profite aussi pour son PSAP.
    Alors que le principe de mise sur le marché de ces produits est différents : il consiste à fournir un appareil OTC c’est à dire par dessus le comptoir, ou sous blister à la caisse. Sans aucun accompagnement, sans aucune explication sur la manipulation, sans avoir vérifié le conduit auditif …
    Bref la vraie comparaison consisterait à confronter les deux populations (Sonalto chez Darty, vs Phonak chez l’audio) sans que la première bénéficie du moindre conseil et de la moindre explication sur son audition, l’environnement sonore, les possibilités et limites des appareils et en laissant au passage quelques personnes ayant un bouchon de cérumen essayer les dispositifs.

    1. Merci Brice pour ton commentaire.
      Affligeante médiocrité de « l’étude » de QC qui cherche à comparer les choux et les carottes…

      Je publie quand tu veux les performances objectives dans le bruit des PSAP les plus vendus…

      Franchement, pour 300 à 400€ (x2), les autorités sanitaires devraient les interdire pour abus de confiance !

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