J’entends mieux avec votre chemise bleue

Un article paru récemment dans Ear and Hearing , The Placebo Effet and the Influence of Participant Expectation on Hearing Aid Trials, me semble très intéressant à plus d’un titre:

  1. C’est un des rares articles à s’intéresser à ce problème en appareillage auditif. En effet, une seule étude en 2003 de R. Bentler avait tenté d’évaluer l’effet placebo en appareillage auditif (on en reparlera plus loin).
  2. D’innombrables études nous sont fournies par les fabricants nous vantant la supériorité du dernier modèle par rapport au précédent.
  3. Nous cherchons des fois nous-mêmes (audioprothésistes) à comparer et faire comparer à nos patients des performances supposées d’aides auditives.

J’avoue que je me méfie toujours d’une période « lune de miel » avec l’appareillage auditif, notamment en renouvellement, lorsque les attentes sont importantes (ça peut-être aussi la cata…). A la lecture de cet article, j’avoue remettre en question quelques pratiques et comprendre aussi les stratégies marketing, finalement très très élaborées en la matière.

Pour reprendre les points évoqués plus haut:

Point 1 (l’effet placebo en AA):

Tout d’abord, l’effet placebo n’est pas négligeable: il est évalué comme entrant en jeu dans 35 à 70% des réponses, de façon plus ou moins importante bien sûr. Les tests d’appareillage auditif n’échappent pas à la règle, que ce soit en « tests labos » ou « tests audios ». Quelles que soient les données démographiques, d’intelligence ou de personnalité, personne n’y échappe.

Une des causes les plus importantes d’effet placebo décrite est le « labeling » d’appareil auditif, c’est à dire l’action consistant à « labelliser », à savoir présenter un produit dans le but d’en mettre en évidence de supposées performances.

Ruth BENTLER et coll., en 2003 avaient présenté à des patients deux types d’aides auditives, une « conventionnelle » et une « numérique ». Certains patients influencés par le mot magique (« numérique »), alors même qu’ils essayaient sans le savoir une aide auditive analogique, présentaient jusqu’à un mois « d’effet numérique » dans leurs performances (vocale dans le bruit, HINT).

Point 2 (l’effet placebo et la communication des fabricants):

L’effet placebo diminue avec de strictes conditions d’administration des tests:

  • les études « ouvertes » sont les plus exposées (le patient et l’expérimentateur connaissent ce qu’ils essayent et font essayer)
  • les études en « simple-aveugle » le sont logiquement moins (le patient ne sait pas ce qu’il teste)
  • les études en « double-aveugle » sont les moins exposées (ni le patient ni l’expérimentateur ne savent).

L’attente des patients peut totalement fausser un test. En reprenant plusieurs études sur plusieurs années, il apparait que systématiquement les études « ouvertes » montrent une amélioration de l’intelligibilité dans le bruit (HINT) avec les « nouveaux appareils », un peu moins en « simple-aveugle », et… pas du tout d’amélioration en « double aveugle » ! (oh-bé-mince-alors-qu’est-ce-que-je-vais-dire-à-mes-clients-moi ?).

Mais les études en « double-aveugle » sont rares, car il est difficile d’adapter une aide auditive et de ne pas savoir à quoi on a à faire.

La question que se posent les auteurs, et que je me pose aussi: « Que valent les études des fabricants ? Quelles sont les conditions de test ? ». Si on additionnait les améliorations de l’intelligibilité dans le bruit sur plusieurs années, on en serait à S/B -100dB !

Autre chose aussi: le design. Pourquoi pensez-vous que les coques soient si belles aujourd’hui ? On entend mieux avec un joli appareil, c’est prouvé ! (mais seulement 4 semaines, c’est dommage !). Pourquoi croyez-vous que les « lancements » de nouveaux produits se fassent en fanfare ? Pour « gonfler » les audios, car un audio « persuadé » donne de meilleurs résultats en « simple-aveugle », c’est prouvé aussi (mais 4 semaines aussi…).

Point 3 (l’effet placebo dans le quotidien de l’audioprothésiste):

Et dans notre quotidien ?

Eh bien, force est de constater que nous sommes (involontairement, j’espère) les champions des études « ouvertes ».

Nous savons ce que nous administrons (quoique…) et nous le disons à nos patients. Nous les préparons à mieux , en quelque sorte.

Ceci remet donc totalement en cause la notion « d’essais ». On n’essaye pas des aides auditives: avec la technique d’adaptation actuelle disponible (in-vivo, tests dans le bruit, TEN-Test, etc…), il est rare de faire une grosse erreur. Comparer deux modèles est faussé par nos attentes et celles du patient. On pourra certes parler « d’adaptation » et y passer des semaines si on veut, mais pas « d’essais ». Il faudrait pour cela être en double aveugle.

Il faut savoir garder une certaine distance vis à vis d’une réaction trop positive d’un patient qui peut être influencé par notre compréhension, gentillesse, prestige (!), et même… notre belle chemise (ou robe) bleue du jour ! (c’est prouvé 😉 ). Gardons à l’esprit que de meilleures performances d’intelligibilité dans le bruit sont objectivement mises en évidence si le patient croit avoir l’appareil qui va bien pour ça (« le nouveau »)… mais quatre semaines.

Il faudra gérer ensuite une déception à la hauteur d’un promesse et/ou d’une attente trop importantes.

Pour la petite histoire: l’article auquel il est fait référence (Ear and Hearing, vol. 32, N° 6, 767-774) a testé en « étude ouverte » un appareil STARKEY dernier modèle, conditionné dans deux coques (une jaune et une beige). Les réglages étaient strictement identiques pour les deux coques, mais l’un était présenté comme « le nouveau » et l’autre comme « l’ancien ». On a demandé aux patients de juger divers critères subjectifs comme la qualité du son, et d’autres plus objectifs comme l’intell. dans le bruit. Les patients sachant (croyant savoir) ce qu’ils essayaient, devinez quels ont été les résultats ? Mais si, vous savez: le « nouveau » était mieux sur tous les points (confort, clarté, intelligibilité dans le bruit, etc.). C’était pourtant le même appareil, le même réglage. Juste une couleur de coque…

5 commentaires sur “J’entends mieux avec votre chemise bleue

  1. Tu as écrit ci-dessus ce que j’estime être l’un des meilleurs articles de 2011 rédigé par un audioprothésiste français.

    Merci Xavier.

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