Expansion, piège à sons…

Vous m’excuserez de ne pas vous parler du Sonalto qui bientôt occupera 95% des posts de ce blog, ni de programmation neuro-linguistique, de consolidation de chiffre d’affaire, etc. Je suis juste un audio…

 

Je pense que si on devait décerner la palme du réglage  » presse-bouton  » dans le genre  » j’appuie-là-et-on-verra-si-c’est-mieux-le-bruit-de-vo’t-frigo-dans-une-semaine-ma-bonne-dame « , l’expansion serait en bonne position de tête !

Avec l’apparition des méthodologies non-linéaires et surtout des anti-larsen performants, il a été possible en théorie (et en pratique), de donner une amplification très importante à faibles niveaux d’entrée. Tellement importante que le risque, comme tout excès, est de noyer le malentendant dans un « brouillard bruité » du type « la VMC, le frigo et la route à 200m ». Alors l’idée géniale a été de proposer un « réglage » d’expansion. Quand je dis réglage, je suis gentil, car souvent on a on/off, 0/1 et même 0/1/2/3 (soyons fous !) ou alors des trucs non traduits du type soft sounds reducer (là forcément en anglais ça marche mieux).

En plus, pour faire simple intellectuellement, off ou 0 ça veut dire au max = le plus de sons faibles !

Techniquement, l’expansion consiste à ne pas amplifier (ou moins amplifier) les sons en dessous d’un certain niveau sonore:

Principe du réglage d'expansion

Effectivement, ça permet aussi de ne pas trop faire entrer dans le circuit divers bruits de fond électroniques tel que celui du microphone.

Le problème comme toujours avec ces systèmes fermés, c’est que le fabricant (pas tous, mais la majorité) ne communique pas sur le fameux « TK bas » ou premier point d’enclenchement de cette expansion. Sur le graphique ci-dessus, il est fixé à 25dB HL, donc on peut imaginer que c’est le seuil audiométrique qui va dicter ou non son enclenchement. 25dB HL, déjà c’est un peu flou: à quelle fréquence ? pareil à toutes les fréquences ? (ça a son importance), dans quelle mesure ? (plus rien après le TK ou un peu moins de gain?) etc. Tout ça pourrait nous intéresser, nous, les audios (et oui, on ne vend pas encore du Sonalto !). Pourquoi ? d’abord par curiosité intellectuelle, et puis même bas, qui dit que ce « TK bas » n’a pas d’influence sur la perception de la parole ?

Si on prend un appareil lambda par exemple, on visualise très légèrement moins de gain à 45dB SPL d’entrée qu’à 65dB SPL:

On peut penser que le point d’expansion est « quelque part » entre 45 et 65dB SPL que que sous ce point d’expansion, le facteur de compression est faible (pas trop de différence entre les deux courbes de gain). On reste quand même dans le flou.

Prenons une autre aide auditive avec un point d’expansion inconnu et un comportement sous le TK lui aussi inconnu. La courbe suivante de niveau de sortie in-vivo (REAR) est mesurée pour un signal d’entrée vocal de 65dB SPL, avec un réglage linéaire sous le premier TK (expansion off ou 0):

REAR 65dB SPL ISTS EXP "off"

Sachant que l’appareil est réglé de façon quasi linéaire, la zone verte claire représente la ligne de crêtes (percentile 99: dépassé 1% du temps) et en partie basse la ligne de « vallées » (percentile 30: dépassé 70% du temps). Cette analyse percentile est censée représenter (si l’appareil est linéaire) une dynamique comprise entre -18 et +12dB par rapport au spectre à long terme (courbe verte). Avec expansion off, c’est bien le cas: la dynamique dans la partie bas niveau (vallées) est respectée.

Si par contre on met le réglage d’origine, à savoir expansion on, donc réduction de gain dans une mesure inconnue, sous un niveau inconnu, on obtient:

REAR 65 expansion ON

Evidemment, les niveaux de crêtes ne sont pas altérés, le spectre à long terme quasiment pas (ce qui aurait pu), mais les bas niveaux « bavent » (je n’ai pas d’autres mots). La dynamique inférieure n’est plus de -18dB mais descend à -25dB, voire plus.

Qu’est-ce que cela signifie ? Les informations de parole passent en permanence au-dessus et en-dessous d’un TK bas vraisemblablement fixé trop haut (45dB SPL ?), et surtout, sous ce TK, la compression est forte. L’appareil s’arrête quasiment sous ce point d’expansion. Ce qui partait à l’origine d’une volonté de protection contre une amplification trop importante des sons faibles à un impact sur la parole à niveau normal: les informations de bas niveau sonores de la parole ne passent plus au-dessus du seuil. On imagine pour une émission plus faible, à 55dB SPL par exemple.

Pour le malentendant, cela se traduit par par des micros ruptures d’amplification selon que l’énergie est sur ou sous ce fameux point d’expansion. Certains le décrivent comme de brusque éclats (augmentation soudaine) de voix.

Même à niveau « normal » (63dB SPL par exemple), le spectre moyen de la parole n’atteint jamais 63dB SPL, mais souvent nettement moins:

Niveaux par bandes d'octaves de la parole à 63dB SPL

L’addition des bandes donne 63dB SPL, mais dès 1600Hz, on passe sous 45dB SPL. Certaines informations de la parole sont extrêmement faibles, et on ne parle que de niveau normal…

Les points d’expansion se doivent donc d’être judicieusement placés, et surtout, le comportement de l’appareil sous ce point est important. Il est dommage que les logiciels et les fabricants ne nous donnent pas plus d’informations sur ces aspects.

5 commentaires sur “Expansion, piège à sons…

  1. Voilà qui laisse songeur, concernant le traitement du signal le plus fréquemment activé par les audioprothésistes avec l’anti-larsen.

    L’expansion est un procédé propre aux fabricants : le principe est connu de tous, son fonctionnement « en direct » reste opaque, son paramétrage flou ou impossible (« on », « off »).

    J’avais remarqué que l’impact de l’expansion sur la compréhension de la parole varie d’une prothèse à l’autre, fonction de la marque et de la génération d’appareil auditif. De même, les tests permettant d’étudier les conséquences de l’expansion peuvent varier en fonction de l’appareil ! Je m’explique.

    Avec la prothèse de marque A, expansion ON, le gain in-vivo associé à un bruit vocal de 50 dB SPL est inférieur à celui obtenu avec expansion OFF.

    Avec la prothèse de marque B, ce même gain est identique, que l’expansion soit ON ou OFF.

    En revanche, si je change de mode d’analyse, que je passe du gain in-vivo (qui utilise un signal « à long terme » de la parole) à une analyse de l’énergie en niveau de sortie in-vivo avec en entrée un signal vocal « direct » (en opposition à « long terme »), il y a moins d’énergie quand l’expansion est ON.

    Les quelques publications indépendantes à étudier l’expansion sont partagées vis-à-vis de ses conséquences sur l’intelligibilité, un audiologiste de Starkey en a fait un résumé sur son blog :

    http://blog.starkeypro.com/bid/58347/Does-Expansion-Decrease-Low-Level-Speech-Understanding

    Le discours des fabricants est souvent de dire que le TK de l’expansion se trouve systématiquement sous les niveaux de pression acoustique associés aux phonèmes les plus faibles, dans le cadre du LTASS (mesure à 1 mètre du locuteur, dans le calme). On trouve cette explication et des schémas intéressants dans une publication de Sonic Innovations « Uses of Expansion to Promote Listening Comfort with Hearing Aids« . Mais les TK doivent être « flottants » (du moins je l’espère), la parole n’étant pas toujours produite à un 1 mètre du microphone de l’aide auditive.

    Peut-on faire le rapprochement de manière aussi directe entre l’expansion et l’écoute de la télévision ?

  2. Merci Clément. J’ai activé tes liens vers les docs en question.
    Par contre, dans le document Sonic Innovation, je serais un peu critique sur le niveau de la parole (estimé à environ 54dB SPL): la voix moyenne est certes au maximum à 54dB SPL dans la bande 500Hz, mais tout le temps en dessous pour les autres bandes. Et là, il y a un impact. S’il devait y avoir une expansion « idéale », les points d’enclenchements seraient multiples et alignés en fonction des bandes de 1/3 d’octave (ce qui est paraît-il le cas chez certains).
    Pour parler de Starkey: les premiers « Destiny » avaient un point d’expansion et un comportement sous ce point très exagéré. Pensant qu’à 65dB SPL le niveau moyen de la voix n’était pas assez important, j’ai souvent augmenté le gain, avant de me rendre compte qu’en désactivant l’expansion, on gagnait bien 5dB de NS. Les modèles suivants ont été réajustés (sans que l’on sache vraiment précisément dans quelle mesure), mais l’expansion ne « touche » plus la parole à niveau normal.Par contre la voix faible (55dB SPL) est toujours impactée, sauf quelques rares fabricants (sauf Widex, mais c’est une politique voulue depuis longtemps de leur part).
    Activer cette expansion (max. de sons faibles), sauf dans le cas de surdités légères, ne m’a finalement jamais amené de critiques de la part des patients. Et en tout cas, on sait régler les gains faibles, encore que…

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